mardi, janvier 06, 2009

L’impasse afghane (2/6) : Quand Washington était pro-islamiste.

Un de nos camarade du collectif de Montréal, publiera 6 chroniques dans le mensuel d'Alternative Libertaire. La chronique qui s'intitule L'impasse Afghane, a débuté dans le no. du mois de novembre. Nous publions donc ici la seconde partie.

Pendant presque vingt ans, les Américains et leurs alliés ont financé et entraîné les moudjahidin puis les talibans en Afghanistan. Une politique étrangère impérialiste, dans le but de protéger les intérêts énergétiques états-uniens dans le golfe Persique.

Officiellement, la CIA aurait débuté son aide aux moudjahidin en 1980, quelques mois après l’invasion soviétique. Cependant, Robert Gates, l’ancien directeur de la CIA, affirme dans ses mémoires que l’opération Cyclone d’assistance clandestine aux opposants du régime pro-soviétique de Kaboul, fut signée par le président Carter en juillet 1979, six mois avant l’invasion soviétique [1].

La fabrication d’un jihad « anticommuniste »


Ensuite, les Russes vécurent leur propre Vietnam. Les opérations d’entraînement et d’armement s’effectuèrent par l’intermédiaire des services secrets pakistanais (ISI) et ont été appuyés financièrement par plusieurs autres pays, dont l’Arabie saoudite, l’Égypte, la France, la Grande-Bretagne, Israël, l’Iran, le Japon et la Chine. Cette opération permit la formation de plus de 100 000 hommes, entre 1978 et 1992, avec un budget annuel américain qui culmina à 630 millions de dollars US en 1987. En 1983, plus de 10 000 tonnes d’armes et de munitions en provenance de Chine ont transité par le Pakistan. Le commandant Massoud, Gulbuddin Hekmatyar et Jalaluddine Haqqani, pour lequel Ben Laden était en charge du recrutement, furent les seigneurs de guerre les plus financés par la CIA [2].

Il est bien évident que les pays finançant cette guerre préféraient soutenir des moudjahidin fondamentalistes et les éléments les plus réactionnaires pour chasser les soviétiques, plutôt que des groupes pro-démocratiques puisque ceux-ci, en se battant pour leur indépendance, auraient nui aux intérêts politiques et financiers. En 1989, les Russes se retirent et le gouvernement américain peut enfin prendre le contrôle du golfe Persique.

Après dix ans de guerre, avec plus d’un million de civils tués et le quart de la population afghane dans des camps de réfugiés, une guerre civile s’enclenche jusqu’en 1992, entre les différentes factions moudjahidin. Les attaques de Hekmatyar contre Kaboul, sur plus de trois ans, firent plus de 10 000 morts et déstabilisèrent encore le pays. En 1993, des activistes islamistes entraînés dans ses camps firent exploser une bombe à New York dans le sous-sol du World Trade Center.

Hekmatyar et l’appui aux talibans

Les gouvernements américain et pakistanais décident alors de neutraliser Hekmatyar par le biais de nouvelles milices religieuses, les talibans, qui promettaient au peuple afghan de ramener l’ordre, la loi et une certaine moralité [3]. Appuyés par ces gouvernements, et par la puissante compagnie pétrolière états-unienne Unocal, porteuse d’un projet de gazoduc vers le Pakistan, les forces talibanes passèrent de 2 000 à 25 000 miliciens de 1994 à 1995 et prirent le contrôle du pays. Ces milices imposent un islamisme brutal et rendent obligatoires la prière, la barbe pour les hommes, la burka pour les femmes, interdisent la télévision, la musique et ferment les écoles pour filles. L’avantage pour les américains réside dans le fait que, contrairement au parti islamiste de Hekmatyar, les talibans ne désirent pas mener d’offensive contre l’Occident, ce qui diminue alors l’influence de l’Iran, de l’Inde et de la Russie dans la région. Les dilemmes moraux sont vite esquivés par les intérêts financiers. Un support qui ne prendra fin qu’en 1998, à la suite d’attentats commis par Ben Laden contre des ambassades américaines en Afrique, qui ont tué 224 personnes dont 12 Américains. Des pertes suffisantes pour rejeter les talibans, alors que la politique américaine des vingt années précédentes a provoqué la mort de millions d’Afghans. Les ex-combattants de la liberté ne savaient alors pas qu’ils deviendraient quelques années plus tard la raison officielle d’une nouvelle guerre.

[1] Jauvert V., « Oui, la CIA est entrée en Afghanistan avant les Russes… », Le Nouvel Observateur, nº1732, janvier 1998.

[2] Wikipedia : Opération Cyclone.

[3] Dupuis Déri F., L’Ethique du vampire. De la guerre d’Afghanistan et quelques horreurs du temps présent, Lux, 2007.

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