On a tendance à nous rassurer, surtout en ces temps où l'ombre d'une récession se fait de plus en plus présente, que l'économie va bien. Et que donc, par extension, le portefeuille de la majorité est plutôt plein que vide. De toute façon, précisons que nous sommes au Canada, un pays industrialisé membre du G8 plusieurs fois titré du « plusse meilleurs pays du monde », titre envieux s'il en est un.
Nous qui disons à longueur de temps qu'il faut s'organiser dans nos quartiers, à la base, avec les gens autour de nous qui composent la vie quotidienne, je me suis dis qu'il fallait bien vérifier un peu. J'habite Centre-Sud, à Montréal, précisément entre Ontario et Maisonneuve et Amherst et Papineau, pour faire large. Ça fait trois ans. J'ai entendu aujourd'hui au journal Harper dire que la crise économique ne concernait pas les banques canadiennes. Ben sûr, c'est vrai, ça ne concerne pas les BANQUES CANADIENNES et je pense que personne n'a attendu qu'il y ait crise économique à l'échelle du capitalisme financier international pour s'apercevoir que...il y avait déjà crise depuis longtemps dans certains quartiers. Et notamment à Centre-Sud.
La Presse a publié il y a quelques semaines un reportage voyeur où une journaliste, entre autre, allait habiter trois semaines dans un crack-house de Centre-Sud. En gros, elle a été effarée de constater ce qu'elle a vu, là comme dans le quartier. C'est vrai que c'est ben dur de juste traverser la rue Sherbrooke et descendre vers le fleuve quand t'habites près du parc Lafontaine pis que tu travailles à La Presse. Ce qui sépare le Plateau de Centre-Sud ? La rue Sherbrooke...pis des flics. Il n'y a qu'à faire un petit tour sur Ontario en direction de l'est pour en croiser toute une fourmillère : en char le plus souvent, mais aussi à pieds, en vélo...et avec leurs jolis pantalons paramilitaires, ce qui fait nous rappeler les sages paroles d'Yves Francoeur, président du syndicat des cochons, si progressiste qu'il n'est même pas d'accord avec Harper sur les politiques sécuritaires en plus de s'être présenté aux funérailles de Fredy Villanueva, quelle honte pour un policier : « Il faut se rappeler que la police est avant-tout une organisation paramilitaire », dixit le toujours puant et soporifique Richard Martineau dans sa chronique du Journal.
Mais il faut quand même dire que la grosse Presse n'était pas aussi inutile que ça dans son reportage, des chiffres m'ont quand même parlés, même si ça parle pas pareil que quand tu te tapes une discution Ontario/Papineau à 3 heures du mat : l'espérance de vie pour un homme de Centre-Sud est de 69 ans, soit cinq ans de moins que dans le reste de l'île, le tiers des habitants vit sous le seuil de la pauvreté dont près de la moitié des familles sont monoparentales, 38% des jeunes sont des décrocheurs, le quartier a le plus haut taux de suicide de tout Montréal et, finalement, le taux de grossesse à l'adolescence y est deux fois plus élevé qu'ailleurs.
Avouez que ça veut dire quelque chose. Faisons le calcul. On parle d'un quartier qui s'arrête au passage de la track de chemin de fer sur Ontario. Bon...Quel est le quartier qui le jouxte ? Hochelaga-Maisonneuve. J'ai pas vu les stats, mais ça doit être super joyeux aussi, et de toute façon si tu vas au Bar des Patriotes, le midi t'as le spaghetti à 2$, ça te donne une idée. C'est aussi à Hochelaga que la compagnie qui produit les bières « Big Ten » (pour 10% d'alcool) avait mené une campagne de publicité exclusive dans ce quartier, en faisant de la promotion sur les prix. Il me semble que si on se dit que Centre-Sud débute, mettons, au Carré Berri et qu'on va jusqu'à la fin de Hochelaga, disons métro Viau puisqu'après c'est plutôt Mercier, et bien...ça fait un gros bout de territoire.
Il y a certes des poches de gentrification qui sont importantes, par exemple, dans le cas de Centre-Sud une partie de la rue Sainte-Catherine et quelques rues adjacentes. On y retrouve de l'argent et des commercants...mais la particularité de ce secteur, qui n'est pas par exemple équivalent à la rue Prince-Arthur, c'est la propension à la consommation et à la prostitution, les deux n'étant pas forcément liés, comme c'est justement un peu plus le cas trois rues au nord. Ce qui me fascine à Montréal, c'est la facilité qu'on a à aller d'endroits diversifiés à un autre. Une rue d'un quartier peut être antagoniste à l'ensemble du dit quartier. Les frontières sont claires. Il y a des zones tampons aussi, comme ce passage toujours très démonstratif lorsqu'on va vers l'ouest sur Sainte-Catherine, entre le Carré Berri et Saint-Laurent.
Parlant de gentrification, voilà que l'administration Tremblay, décidémment aussi incapable que toutes les précédentes avant elle, se met à reconstruire certains trottoirs de Centre-Sud. Je me suis réveillé un matin, à cause des pelleteuses et du bruit tonitruant - il était peut-être 8 heures. Je regarde à travers la fenêtre...qu'est-ce que c'est ? Non ?! Ils refont...le trottoir ? Me semble que j'arrivais à marcher dessus. Je n'ai jamais planté dans ma rue, même en sortant du Yer-Mad, un bon bar du coin il va sans dire. Y-a-t-il d'autres priorités dans le quartier que de refaire ces maudits trottoirs ? C'est pas un peu crosseur cette histoire là ? Que dire aussi des magasins qui se construisent sur Ontario, et aussi, des condos. Moins qu'à Hochelaga, où là c'est affreux, mais c'est la même logique. L'arrondissement souhaite que la Promenade Ontario s'étire jusqu'à chez nous. Je conseille à tous ceux et toutes celles qui ont une certaine mémoire historique et qui connaissent assez bien l'est de Montréal de se rendre au coin des rues Ontario et Valois. C'est pas pour dire, mais y'a un bon magasin de fromages là, à seulement 6 $ le petit bout, mais il a peut-être la listériose alors mieux vaut sûrement acheter celui qui est importé à 8 $…
Mais ce n’est pas tout. Le Journal a voulu copier La Presse en mutant eux-aussi un journaliste dans « un quartier chaud », à savoir Montréal-Nord, précisément au quadrilatère exact où les émeutes ont été le plus intenses, « pour voir la réalité du quartier ». C’est une zone de quelques pâtés de maisons que le journaliste a qualifié de ghetto, de bronx, où il interview un jeune homme qui dit texto que « le policier mérite une balle dans la tête ». Voilà que ces gens découvrent aujourd’hui qu’il existe des endroits, des zones habitables étendues à Montréal où la vie est de moins bonne qualité qu’ailleurs. Il faudrait un reportage d’un insignifiant pour s’en rendre compte. Centre-Sud, Hochelaga-Maisonneuve, Montréal-Nord, mais aussi Saint-Michel, Parc-Extension, Côtes des Neiges par bouts, Verdun et Saint-Henri…mais où est-ce que les politiciens mettent le nez ? Sûrement dans un bon verre de vin au gré des soirées mondaines auxquelles ils s’invitent. Pas dans une Big Ten sur Ontario en tout cas.
La réalité de Montréal ne se vit pas au journal de RDI. La crise économique, il y en a plusieurs qui n'ont pas attendu qu'elle soit médiatisée pour la vivre.
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