En mars dernier, une nouvelle Confédération syndicale des travailleurs des Amériques (CSA) a été créée au Panama. Cette nouvelle internationale, forte de plus de 50 millions de membres, se donne le mandat de conjuguer l’action des confédérations syndicales tant du Nord que du Sud, afin de s'organiser contre les effets dévastateurs de la mondialisation des marchés. Du côté nord-américain ce sera la CSN, qui représentera les syndicats au sein du comité exécutif, remplaçant ainsi les traditionnels syndicats tels que l'AFL américaine ou le CTC canadien.
Même si le taux de syndicalisation ici au Québec est élevé, soit 40% comparativement au taux de 10% au niveau continental, Jacques Létourneau, adjoint aux relations internationales à la CSN, affirme que le rapport de force n'est tout de même pas présent ici.
"Auparavant, un mouvement syndical fort dans un pays influait sur les conditions des travailleuses-travailleurs, mais ce n'est plus le cas.(...)À preuve, il n'y a qu'à voir ce qui se passe dans le secteur manufacturier... où tout nous échappe presque complètement! Il y a donc des réalités qui dépassent les frontières nationales." (source)
De plus, l'économie néolibérale, profite des énormes disparités dans les conditions de travail entre le nord et le sud, afin d'accroître sa compétitivité. D'où la nécessité d'essayer de construire un réel rapport de force au niveau continental. Tandis qu'ici les grandes centrales syndicales peinent à ralentir le massacre des conditions de travail tant par l'État que par le patronat, du côté sud-américain la réalité est encore plus alarmante pour les centrales. Le syndicalisme national ne suffit donc plus à la tâche, il doit s'inscrire dans un mouvement internationaliste afin de combattre une économie qui se mondialise depuis longtemps.
En effet, malgré une croissance régionale qui dépasse les 5 % annuellement, malgré une légère réduction du chômage et une progression considérable de l’emploi formel, les inégalités restent criantes. En 2006, selon le Bureau international du travail (BIT), plus de la moitié de la population active en Amérique latine, 126 des 239 millions de travailleurs étaient au chômage ou vivaient de l’économie informelle. Et d’ici 2015, le BIT juge qu’ils seront près de 160 millions à vivre sous le seuil de la pauvreté. Les syndicats sud-américains n'ont d'autres choix que d'être plus combatifs et d'utiliser une approche syndicale "plus militante", similaire à celles des centrales telles que la CSN et cie des années 60 et 70. Le travail informel et de l'organisation des chômeurs, sont d'ailleurs certaines de leurs préoccupations, dépassant ainsi les cadres traditionnels des relations de travail et de leurs propres membres. (source)
Par exemple, en Argentine, la Centrale des travailleurs argentins (CTA) milite en faveur des coopératives de travail et regroupe les travailleurs du secteur de l’économie informelle. Au Brésil, la Centrale unique de travailleurs (CUT) lutte de son côté pour la reconnaissance syndicale.(source).
Une internationale encore plus grande
Par ailleurs, lors du sommet de 2005 à Porto Alegre, les deux principales associations de travailleurs, soit la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et la Confédération mondiale du travail (CMT), se sont unies pour fonder la Confédération syndicale internationale (CSI). Avec ses 168 millions de travailleurs provenant de 306 organisations (154 pays), elle est devenue l'internationale syndicale la plus grande de toute l'histoire du mouvement ouvrier. Chose étrange, cette internationale regroupe 2 des grandes tendances du mouvement syndical international: la tendance sociale-démocrate(CISL) et une tendance chrétienne-démocrate (CMT) (source là et là). C'est d'ailleurs une autre internationale dont la CSN fera partie.
Même si les bonnes intentions y sont, la CSI préconise tout de même la concertation et non les grandes luttes anticapitalistes passées des mouvements syndicaux.
"Je considère que nous devons nous asseoir avec les employeurs et les organismes internationaux pour voir avec eux ce qu'on peut faire ensemble pour améliorer les conditions des travailleurs, indique le secrétaire général de la CSI. Par contre, face à des employeurs qui ne veulent pas négocier, c'est peut-être bien la confrontation qui s'impose (...)Nous considérons que la "globalisation" que nous vivons actuellement est profondément injuste, qu'elle ne respecte pas les droits des travailleurs, ni non plus leurs intérêts, dit-il. Toutefois, on ne peut l'arrêter pour faire marche arrière. Non. Il faut par contre la rendre plus juste et faire en sorte qu'elle réponde aux intérêts des travailleurs(...)" a déclaré Guy Ryder, issu des Trades Unions britanniques, le nouveau secrétaire général de la nouvelle association. (source)
Ce que la CSI réclame, c’est une gouvernance effective et démocratique de l’économie mondiale. Bref, une politique de concertation/conciliation face aux décisions de gestion du patronat international. Ce n'est ni plus ni moins que le "capitalisme à visage humain" si cher aux sociaux-démocrates.
Par ailleurs, la CSI entretient des liens étroits avec des organismes tels que le FMI, la Banque Mondiale et l'OMC. Guy Ryder a déclaré d'ailleurs à ce sujet :
"Bien sûr qu'il s'agit d'organisations qui ont plutôt mauvaise réputation, mais elles peuvent néanmoins jouer des rôles positifs."(source)
Largement ouverts à la « société civile » les statuts de la CSI prévoient même l’existence de « membre associé ». Étrangement, ces membres associés, pourront être invités dans les congrès et s'exprimer sans limitation de durée. Par contre, les représentants syndicaux des organisations syndicales constitutives de la CSI, seront limités à des interventions de 5 minutes et à tout moment le président de séance pourra couper le micro s’il juge les propos hors sujets (source). Sans toutefois juger leur constitution, on peut quand même se questionner quels membres de la société civile auront préséance sur les syndiqués et à quel point les intérêts de classe seront substitués à la bonne entente avec le patronat international?
Quelles perspectives?
La création récente de ces 2 internationales syndicales, qui au premier regard, semble avoir des approches totalement différentes, soit la CSI qui ne cache pas sa politique de conciliation avec les grandes institutions capitalistes, la société civile et le patronat et de l'autre, la CSA, qui semble désirer un renouveau du syndicalisme plus "combatif", soulève de nombreuses interrogations sur les perspectives internationalistes syndicales.
Sommes-nous sur le point de créer des organisations qui seraient l'embryon de grandes luttes internationales face au capitalisme qui attaque chaque jour de plus en plus les droits des travailleurs-euses? Ce qui permettrait minimalement de reprendre les grandes idées du syndicalisme du début du 20ième siècle, soient une solidarité internationale de classe dans le but ultime, dans un avenir lointain, de renverser le système capitaliste au moyen de mesures industrielles, telle que la grève générale. Ce qui paverait la voie à une plus grande solidarité des travailleurs-euses et permettrait ainsi d'accroître simultanément et internationalement, du moins dans un avenir rapproché, les conditions de travail. Et qui de plus, permettrait un rapport de force gigantesque face aux grandes transnationales qui se délocalisent à chaque fois que les travailleurs-euses gagnent des luttes, en les combattant peu importe où ils se relocalisent.
Ou nous sommes à l'aube de l'accentuation de l'encadrement des luttes des travailleurs-euses par des bureaucraties internationales, qui en se rapprochant encore plus des institutions capitalistes, ne feront que d'enterrer à jamais le potentiel du syndicalisme international?
Il faut donc espérer que les grandes centrales du nord, prendront exemple sur la plus grande "combativité" des syndicats du sud et non l'inverse. Parce qu'ici, les politiques de concertation/conciliation et le réformisme sans saveur, mises en place par les bureaucrates, démontrent de plus en plus l'inefficacité des syndicats dans la pratique et ne cessent d'accroître la grogne des travailleur-euses face à des organisations qui à l'origine devait défendre leurs intérêts de classe. Mais ce n'est un secret pour personne, le mouvement syndicale actuel plutôt que de chercher à mettre un terme à l’exploitation capitaliste, n’envisage que les moyens de la rendre plus acceptable.
Sans toutefois espérer que ces organisations, dans leur forme actuelle, deviennent des mouvements "révolutionnaires", on peut toutefois espérer qu'ils (re)deviennent des organisations plus combatives et efficaces dans la pratique. Bref, que l'internationalisme de ces luttes soit désormais le cheval de bataille de ces gigantesques organisations. Ces organisations, par le biais de l'échange, de la solidarité et par la conscientisation des travailleurs-euses à leurs intérêts de classe, pourront peut être éventuellement découler en de nouvelles structures qui seront un jour, enfin nous l'espérons, de véritables organisations de luttes révolutionnaires. Mais ce travail ne se fera pas seul!C'est à nous tous et toutes libertaires et révolutionnaires de tenter de prôner à travers ces organisations nos modes d'organisations, tels que la démocratie directe et l'autogestion, afin qu'un vrai changement radical puisse enfin s'opérer.
Travailleurs-euses de tous les pays, unissez-vous!!
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