lundi, mai 12, 2008

Chronique littéraire: Commissaire de choc - L’engagement d’un jeune militant anarchiste dans la Guerre civile espagnole.

Lorsque les gens de l’Atelier de création libertaire, les éditeurs de ce magnifique témoignage de la révolution espagnole, reçurent le manuscrit de « Commissaire de choc », ils furent à prime abord repoussé par ce titre plutôt provocateur. Un titre qui allait à l’encontre de la position traditionnelle des anarchistes qui s’opposèrent à la création de l’armée populaire en 1936, lors de la révolution espagnole. Ce livre, « Commissaire de choc » c’est avant tout l’engagement d’un jeune militant de la CNT qui donna sans regrets sa jeunesse au service de la révolution espagnole, comme des milliers d’autres camarades lors de cette révolution avortée par les fascistes.

L’auteur, Joan Sans Sicart, est né le 16 mai 1915 à Barcelone d’une famille de la petite bourgeoisie « éclairée ». Son père, militant, doit quitter avec sa famille en 1929 l’Espagne, alors sous la dictature de Primo de Rivera, pour se réfugier en France à Perpignan. En 1930, alors âgé de 14 ans, Joan retourne avec sa famille en Catalogne où il côtoiera les anarchistes, parmi les plus influents de leur époque, qui se réunissaient chez lui. On peut penser à Peirõ, Montseny, Pou, Buenasaca, et de nombreux militants de la CNT (Confederación Nacional del Trabajo-anarco-syndicaliste), pour ne nommer que ceux-ci. Champion d’athlétisme à 17 ans, il deviendra instituteur à l’âge de 21 ans.

En juillet 1936, alors que les troupes rebelles, sous le commandement du général fasciste Franco, tentent un coup d’état, la révolution espagnol éclate. Sans Sicart part volontaire dans l’armée de la république, sous les drapeaux de la CNT. Il y combattra dans la désormais célèbre Colonne Durrutti puis dans la 26ième division après la « militarisation » des milices et leur centralisation au sein de l’«armée populaire ». Arrivé sur le front en juillet 1936, en tant que délégué de centurie, il deviendra le plus jeune commissaire politique de la 121ème brigade mixte, puis de la 72ème division, et finalement commissaire du XVIIIème corps d’armée en février 1939, au moment où les derniers combattants républicains tentent de fuir vers la France.

Il faut savoir que les défaites militaires d'août et septembre 1936, et la désorganisation totale du front, ont durement ébranlé les partisans du maintien des milices. Plusieurs anarchistes influents tels que Durruti, Garcia Oliver et Mera, demandent alors la mise en place d’une organisation unifiée sous un commandement unique. Une politique largement imputable au parti communiste stalinien. Il était primordial, selon ces anarchistes, d’instaurer une discipline de fer au combat et dans le service, d’élaborer une stratégie de combat efficace ainsi que de coordonner le ravitaillement, l’équipement et les communications. Une prise de position qui ne sera pas sans soulever multitudes de débats et de luttes parfois violentes au sein du front populaire. Autant certains anarchistes supportaient cette militarisation autant d’autre l’ont qualifié de prémisse à la « contre-révolution stalinienne ». Mais c'est à partir de ce moment que débutèrent les divergences politiques au sein des révolutionnaires. Les anarchistes tentent alors de réaliser ces transformations dans le cadre des milices, en maintenant l'élection des officiers, la solde unique et la suppression des grades.

Sans Sicart qui désirait plus que tout la victoire face aux fascistes, fut de ceux qui supportèrent ces mesures et devint alors commissaire politique. C’est dans cette optique qu’il accepte, à la demande de la CNT, d’aller à l’École des Commissaires, où il sortira premier de sa promotion, non sans avoir eu maille à partir avec le directeur qui était alors un membre influent du parti communiste. Le rôle du commissaire est alors de représenter la politique de guerre du gouvernement dans l’armée. Le commissaire est avant tout l'éducateur politique des soldats et des officiers, l'agent de liaison avec la population civile et l'organisateur du travail, des loisirs, du repos.

Puis ce fut la déroute des troupes républicaines et la fuite vers la France. Sans Sicart est alors en charge de restituer 12 chars d’assauts russes avec leur armement, à l’armée française, au poste frontalier de la Jonquera. C’est à partir de ce moment que Sans Sicart se retrouve incarcéré au camp de concentration de Saint Cyprien comme de nombreux espagnols. De nombreuses aventures l’y attendront encore. Puis il obtiendra un sauf conduit du gouvernement français, à la demande du gouvernement espagnol en exil, pour son attitude exemplaire durant la guerre. Sans Sicart sera par la suite persécuté par le régime de Vichy et sera actif au sein de la résistance française. Puis il œuvrera activement à la réorganisation de la CNT en France de 1945 à 1959.

« Commissaire de choc » est une biographie aux allures de roman, qui nous transportent à travers les milles et unes péripéties d’un milicien ordinaire qui a vécu une époque extraordinaire. Mais c’est avant tout un livre qui regorge de détails sur les lieux et les évènements de 1936 à 1939. Un livre qui relate au jour le jour, les batailles et la vie sur le front durant cette guerre, qui fut l’un des plus beaux espoirs révolutionnaires du 20ième siècle. C’est aussi le récit des expériences, des batailles, des bagarres, des amours et de l’autodiscipline exemplaire d’un militant qui désirait avant tout la victoire contre le fascisme et qui a tout donné pour que cette révolution puisse enfin voir le jour.

Mais c’est aussi un livre qui nous fournit une vision diamétralement opposée de la vision figée des anarchistes espagnoles qui s’opposèrent à la création de l’armée populaire. Un point de vue qui ne peut nous laisser froid et nous force à reconsidérer d’un point de vue positif certains aspects de cette militarisation, qui pour beaucoup d’anarchistes, fut le tombeau de cette révolution.

L’Atelier de création libertaire qui devait faire paraître ce livre en octobre 2007 envoya les épreuves à Joan, qui était entre temps tombé gravement malade. Joan s’est éteint le 30 septembre, à 9h45. Il a eu le temps de voir avec émotion le tirage numérique de son livre avant de quitter cette vie qui fut plus que remplie.

Un livre à lire absolument cet été....

Salud Joan!

Joan Sans Sicart, Commissaire de choc – L’engagement d’un jeune militant anarchiste dans la Guerre civile espagnole (traduit de l’espagnol par Rita Pinot, préfaces de Manuel Vasquez Montalban et de Mimmo Pucciarelli), Atelier de création libertaire, 266 pages.

Disponible à la librairie l’Insoumise (Montréal) au coût de 22$.

4 commentaires:

Nicolas a dit…

Dans la série «déboulonnons les mythes de la révolution espagnole», je conseille fortement la lecture du numéro de la revue À contre-temps consacré à Garcia Oliver. On y apprend, entre autre, que les Oliver, Durrutti et cie était dès les années 1920 partisans de la création d'une «armée» anarchiste. Ce n'est pas exactement un hasard s'ils défendirent les positions qu'ils ont défendu.

Nicolas a dit…

Surtout le texte Eloge d’une cohérence politique en fait...

Makhno a dit…

Merci camarade, j'en prends bonne note et j'ajoute ça à mes lectures.

Par contre, du côté livre, c'est à ma connaissance l'un des seuls témoignages de ce type, qui ne parle pas des anarchistes, ayant accepté la militarisation, comme étant des bolchéviques. Possible qu'il y'en ait d'autre, mais c'est toujours bien de voir l'autre côté de la médaille.

Ramona a dit…

Merci nicolas pour tes idées de lecture, très intéressant. Je fais justement un travail sur les milices espagnoles en ce moment, si t'as d'autres textes du genre n'hésite pas à poster les liens !