samedi, juillet 03, 2010

Le cœur de l'action directe

Ceux et celles qui, loin de leur téléviseur, se sont rendu à Toronto cette fin de semaine ont été témoins et victimes d'une violence policière et étatique d'une rare intensité, un cas unique dans l'histoire canadienne des dernières décennies. Les Québécois, qui gardent un très mauvais souvenir de la Crise d'octobre 1970, devraient aujourd'hui être scandalisés par un tel déploiement de violence et de terreur.

Mais alors que les hommes les plus puissants du monde s'arment de lois spéciales et de brutalité afin de développer des plans d'austérité dont souffriront de nombreux peuples de la terre, la seule violence qui fait l'unanimité dans sa condamnation n'est pas celle des princes et de leurs valets, mais bien, et évidemment, celle des manifestants radicaux. Bill Blair, le chef de police de Toronto, affirmait en fin de semaine: « Nous n'avons jamais vu un tel niveau de délinquance gratuite, de vandalisme et de destruction dans nos rues ». Le ministre canadien de la sécurité publique, Vic Toews, ajoute pour sa part : « Nous condamnons les actes de violence et de destruction insensés perpétrés par un groupe de bandits » et il ose même souligner le «professionnalisme» et la «constante vigilance» dont ont fait preuve les forces de l'ordre. Plusieurs groupes supposément progressistes comme Greenpeace et certains syndicats relayent également le message des forces de l'ordre en condamnant l'action directe.

Le message dominant est clair, cette violence est « apolitique » et « destructrice ». Reproduisant les sempiternelles préjugés de Gustave Le Bon sur l'irrationalité de la foule, qui tire ses racines de la fin du 19e siècle, l'élite en place, plutôt que de voir dans l'action directe une critique en acte de la société marchande, préfère la considérer comme motivée par un quelconque spasme libidineux déviant. En associant ainsi l'action directe à la violence des « voyous » et des « bandits », les porte paroles de la loi et de l'ordre tentent de se positionner — alors que l'État canadien a fait systématiquement fi des droits humains et que certains militants sont encore portés disparus — comme les seuls défenseurs légitimes de la raison et de la démocratie.

L'action des Black bloc et des autres groupes révolutionnaires est pourtant rationnelle. Parmi le répertoire presque infini d'actions qui s'offre à eux, les anarchistes vont choisir des cibles précises, stratégiques et politiques. Contrairement à ce que prétendent les forces de l'ordre, on ne verra jamais un militant radical attaquer les « citoyens ordinaires ». Dans la quasi-totalité des cas, les attaques ciblent visent l'État (c'est pourquoi ils ont brûlé quelques voitures de police), la marchandise (une cinquantaine de vitrines fracassées) et les médias (plusieurs voitures portant leur logo ont été attaquées). Principalement, l'action directe tente de s'attaquer, comme dirait le bon vieux Marx, à l'unité de base du capitalisme, à ce médiateur des rapports sociaux, la marchandise. En s'en prenant ainsi à ce fétiche moderne, l'action directe tente de briser le processus qui donne à de ces choses inanimées le pouvoir qu'elles ont sur nos vies. Pour les anticapitalistes, le pouvoir structurant de la marchandise n'est pas plus rationnel que les cantiques du Saint-Sacrement ou les incantations Voodoo.

Alors que l'État canadien s'est défait de ses apparats démocratiques afin de revêtir celui de l'État policier — rien de trop beau pour protéger les princes du monde venu chez nous discuter profit et rentabilité — les amis de l'État et autres fidèles défenseurs de la société marchande dénoncent en cœur cette violence, minime et symbolique, des militants radicaux. Guy Debord ne se trompait décidément pas lorsqu'il affirmait que dans la société spectaculaire marchande, « le vrai est un moment du faux ». Seule une société comme la nôtre peut ainsi renverser le réel au point de faire porter le fardeau de la violence sur ceux et celles qui la subissent.

Face à tant de mensonge et de brutalité, la violence des militants radicaux a minimalement le mérite de s'en prendre aux riches et aux puissants et non aux classes les plus pauvres de nos sociétés. Les quelques dizaines de vitrines brisées visaient à dénoncer, justement, la violence systématique de cette société de domination, celle qui réduit le vivant à l'état de marchandise et qui saccage systématiquement la planète. Cette action est destructrice, il est vrai, mais destructrice d'exploitation et d'injustice. C'est contre les banques, contre les multinationales et contre l'État canadien qu'est dirigée la violence des radicaux. En accordant systématiquement plus d'importance à cette violence minime et symbolique qu'à celle de l'État, incommensurablement plus vaste et brutale, les amis du régime démontrent que leur système de valeur est hiérarchisé de telle façon que la destruction d'objets inanimés est plus scandaleuse que la violence économique qui réduit des milliards d'êtres humains à la pauvreté, à la misère et à l'exploitation.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très bon texte! Posé, pertinent et il couvre dans une très grande part les critiques adressées à ceux et celles ayant utilisés des moyens moins pacifistes. C'est aussi un bon texte à faire circuler sur les réseaux sociaux, où plusieurs personnes se sont alarmées face au «black bloc».

Anas K. a dit…

il est aussi étonnant que réconfortant de voir que les canadiens ne sont pas passifs face à l'avidité de l'élite. Dans les pays où cette agression est flagrande il n'y a presque aucune réaction...
excellent texte, ravi d'avoir découvert votre blog.
Anas (Maroc)