samedi, juillet 10, 2010

[Chronique littéraire] Matinik Doubout. Le mouvement populaire de février-mars 2009

«Le colonialisme n'est pas une machine à penser, n'est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l'état de nature et ne peut s'incliner que devant une plus grande violence. »- Les Damnés de la Terre (1961), Frantz Fanon.

Il y a un peu moins d’un an paraissait aux Éditions Alternative libertaire, Matinik Doubout : Le mouvement populaire de février-mars 2009. Ce petit bouquin de 151 pages a été écrit par un militant libertaire habitant les Antilles depuis une dizaine d’années et qui est connu sous le pseudonyme de Nemo. À travers ce livre, il nous relate la chronologie du plus puissant mouvement populaire du siècle dernier et de ce mouvement de grève générale qui s’est étendu comme une trainée de poudre dans les Antilles Françaises.

Quatre siècles d’exploitation et de luttes

Ce bouquin est sous-divisé en 4 chapitres. Il débute par un bref survol historique décrivant les grandes lignes des 3 périodes historiques des Antilles françaises, soit l’esclavagisme, le colonialisme et la période départementale, qui permet de mieux comprendre les causes historiques de la situation actuelle aux Antilles. Ce chapitre aborde aussi (parfois trop rapidement) les grandes luttes menées par le peuple martiniquais au fil des siècles, telles que l’abolition de l’esclavage au XIXème siècle, les luttes de libération nationale et de décolonisation ainsi que les mouvements sociaux  de l'après deuxième guerre mondiale, qui furent sauvagement réprimées dans le sang par l’État.

Asé pwofitasyon!

Puis, cet historique nous mène jusqu'au début de l'année 2009. En réponse au colonialisme toujours présent et au capitalisme sauvage qui a provoqué un chômage endémique de 22% et une hausse du prix des produits de première nécessité qui avoisine les 18% en un an, une intersyndicale se forme en Martinique, pendant qu’au même moment éclate en Guadeloupe une grève générale historique sous l’impulsion du syndicalisme de combat de la LKP. Une grande manifestation regroupant près de 15 000 personnes à Fort de France (sur une population de près de 90 000 habitant ), sonne le début de la riposte populaire en Martinique. Ce qui permet la mise sur pied du Collectif du 5 février qui luttera pour 4 revendications principales : Contre la vie chère, pour une hausse générale des salaires, pour une augmentation des conditions de retraite et pour une diminution du coût des services.

Ce qui résume l’essentiel de la deuxième partie, et qui nous permet de mieux comprendre la partie la plus intéressante, c'est-à-dire la troisième partie du bouquin, qui relate au jour le jour, soit du 5 février au 14 mars, les évènements de cette révolte populaire historique. Cette partie, sous forme de journal personnel, permet de vivre à travers les yeux de l’auteur cette lutte au quotidien. Ce qui nous change des trop nombreuses analyses théoriques extérieures aux luttes auxquelles nous sommes habitués, puisque Nemo fut et est toujours un militant au cœur de cette lutte. Et c’est à mon avis ce qui rend ce bouquin indispensable à la compréhension des évènements de 2009.

Pour une « alternative libertaire »

Puis, la dernière partie de ce bouquin analyse les limites du mouvement, les idées nouvelles qu’il a permis de faire éclore ainsi que les perspectives politiques et économiques qu’il a ouvertes. Élément intéressant à noter, l’auteur qui n’était pas membre d’Alternative libertaire, notre « organisation-sœur » du côté français, lors des grèves, est depuis membre d’un nouveau collectif qui a vu le jour à Fort de France. Nemo conclu ainsi en mentionnant que : « L’émancipation des Antilles peut être une réappropriation de tous les moyens de production par la collectivité, sur la base de l’autogestion, le remplacement de l’économie de marché par une économie socialiste (…) le remplacement de la démocratie indirecte par une démocratie de base. » Une perspective qui même si elle semble radicale, commence tranquillement à alimenter les réflexions des classes populaires martiniquaises.

Bref, un livre que je vous conseille vivement, si vous souhaitez mieux comprendre la réalité antillaise et qui nous permet de tracer un parallèle inspirant avec les luttes, qui nous espérons, s’intensifieront ici aux Québec en riposte à la dégradation de nos conditions de travail et de vie.

D’ailleurs, si le sujet vous intéresse, l’Union Communiste libertaire (Montréal) organise une conférence avec l’auteur, le 22 juillet, dont le titre est : Matinik Doubout : Lutte anticolonialiste et lutte de classe en Martinique et dans les Antilles.

Nemo, Matinik Doubout. Le mouvement populaire de février-mars 2009, Éditions Alternative libertaire, 2009, 151 pp.

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Si vous souhaitez lire la série d’articles écrites par l’auteur et publiés dans le mensuel d’Alternative libertaire :

La Martinique debout :

(1/4) Sé pou le viktwa nou laké !
(2/4) Deux cents ans de révolte
(3/4) Pour une économie libérée du carcan colonial
(4/4) Les états-généraux de l’Outre-Mer : un non-événement

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