vendredi, mars 04, 2011

Les multiples grimaces de la même grosse face

Par Marc-André Cyr*

Sans les contours rationnels dont tentent de l’habiller ses courageux porte-paroles, le capitalisme n’aurait que très peu de légitimité. Ce mode de production ne vise pas à combler les besoins des gens, il n’a même rien à voir avec la création de richesse réelle : sa finalité, c’est la création de valeur abstraite, l’argent. Notre société produit de plus en plus de marchandises inutiles tout en courant tout droit vers la crise écologique; elle produit à la fois des travailleurs devant s’activer parfois sept jour sur sept, des millions de chômeurs, des centaines de millions d’affamés et un gaspillage incroyable – selon l’Université du Texas, aux États-Unis, le quart de la nourriture produite chaque année est gaspillée, soit 2 150 000 milliards de kilojoules par année.

Pour accepter de vivre dans une telle société, il nous faut croire que la vie est faite de souffrance, de sacrifices, d’obéissance, de travail et de châtiments, tout comme il nous faut croire que les formes actuelles de vivre ensemble ˗ Marchandise, Valeur, Salaire, Argent… ˗ sont rationnelles et éternelles. Ces croyances forment le socle sur lequel repose la légitimité du système. Personne ne peut les remettre en cause sans passer pour extrémiste ou fou.
Partant de ces quelques croyances, l’idéologie dominante québécoise se décline en trois grandes et sages familles : la famille sociale-libérale (de type troisième voie à la Blair), la néolibérale et la conservatrice. L’extrême droite, à travers le Réseau Liberté Québec, quelques intellectuels et quelques animateurs radio consanguins de Québec, a également voie au chapitre en tant que critique de ces trois tendances principales.

Aucun spectre en vue

Et la gauche ? Le Parti québécois n’est-il pas un parti de gauche? Soyons sérieux, la gauche n’a qu’un seul député, un social-démocrate qui n’a rien d’un radical et qui désire prendre le pouvoir (avant la fin du monde, si possible) afin de redistribuer la richesse produite en société. Son programme ressemble à celui du Parti québécois des années 1970, mais malgré sa grande modération, QS se situe à la frontière de l’acceptable et ce n’est que du bout des lèvres qu’on reconnait sa légitimité dans l’espace public. Les épithètes à son égard sont des plus grossiers : « extrémiste », « islamiste », « ultragauchiste »… La social-démocratie classique, qui s’étendait massivement sur l’Occident au sortir de la deuxième guerre avant qu’elle ne prenne le virage néolibéral des années 1980, est désormais considérée, du moins au Québec, comme la frange « extrême » de la gauche parlementaire.

S’il existe quelques personnalités publiques progressistes dans le monde universitaire et médiatique, ces derniers ˗ contrairement à leurs homologues de droite ˗ sont extrêmement nuancés et modérés. Ils sont la crème de jour, le mascara de la grosse face du capital. L’humour les aide généralement à faire passer leur message, et c’est précisément parce qu’ils ne critiquent pas la loi marchande, mais bien ses effets « excessifs », qu’on tolère leur présence.
Le pouvoir n’a donc pas plusieurs visages, mais un seul, unique en réalité et pluriel en apparence. Il cligne de l’œil, morve et bave un peu, mais ses contours restent finalement toujours les mêmes. Il répète constamment les mêmes balivernes et son vocabulaire ne tient qu’en quelques mots-clés. Ces quelques concepts publicitaires agissent comme des pistons ponctuant son discours ennuyant: Démocratie, Marché, Croissance, Nation, Civilisation... contre Totalitarisme, Chômage, Communisme, Islamisme…

La dite grosse face

Bleu, rouge ou brun, les différences sont donc négligeables, à un point tel que les personnalités publiques en deviennent interchangeables. Prenez … Jean Charest, enfoncez-lui un peu de social-libéralisme dans le cervelet, il deviendra Pauline Marois, ministre de l’Éducation et de la Santé pendant les belles années du déficit zéro. Cette dernière, si on lui retire une jambe (dans un hôpital qu’elle n’a pas fermée) et quelques espoirs envers la souveraineté du Québec, deviendra Lucien Bouchard, cet ancien conservateur qui se disait social-démocrate tout en coupant dans les services sociaux. Faites renaître ce dernier dans le comté de Duplessis, il se transfigurera alors, odeur de campagne et nouvelle jambe en prime, en Mario Dumont. Ce régionaliste démagogue, une fois sa balade en 4X4 terminée, pourra achever son doctorat en sociologie (c’est plutôt facile, même si ça coute de plus en plus cher) et devenir, vous l’avez deviné, le chanoine Bock-Côté, cet élégant défenseur du Front national et subtil pourfendeur d’immigrants.

Et si vous n’en avez pas encore assez… alors reprenez l’espèce de dindon nerveux de l’UQAM, enlevez-lui le drapeau du Québec qu’il a de coincé quelque part (procédez délicatement, quand même, il pourrait en sortir quelque Facal) et faites-le travailler quelques années pour la CIA, il deviendra ce radical porte-parole du marché un tantinet fêlée… Eric Duhaime. En un délicat claquement doigt, ce dernier se transforme ˗ attention cœurs sensibles ˗ en Richard Martineau, ce voleur de job imbécile, réactionnaire et prétentieux. Remettez le drapeau à sa place (délicatement ou non, c’est selon), et le Martineau deviendra à son tours Jacques Brassard, ce néoconservateur radical bien de chez nous qui considère que le réchauffement de la planète est une invention de gauchistes. Faites-lui gagner des élections fédérales (désolé, mais il faudra encore une fois retirer le drapeau… et en insérer un autre), et il deviendra, en un tour de poignet… Stephen Harper, notre très cher premier ministre.

À bien des égards, le capitalisme est un système absurde. Dénudé de ses fables et mis à nu par la critique, ses contours de plastique suintent le sang, la sueur et la médiocrité. Comme il est de moins en moins facile de transfigurer ce sang en vin, cette sueur en marchandise et cette médiocrité en mode de vie, ses portes paroles deviennent plus intolérants, et poussent la critique à la rue. Reste à espérer que cette dernière repartira un jour à l’assaut du ciel pour en déboulonner les mythes.

* Texte publié dans le journal Le Couac du mois de mars

3 commentaires:

Gontrand a dit…

On apprend pas grand chose disons.

Collectif Emma Goldman a dit…

Moi je trouve que ça fait du bien de lire des texte comme ça de temps en temps... Ça nous rapelle l'absurdité des épouvantails du discours dominant et puis... ça nous fait rire un peu.

Bon texte MAC!

Stéphane

Anonyme a dit…

Et si on lui enfonce une croix dans le cul, il devient Jean Tremblay?