J’ai participé et parfois collaboré à certaines activités du Collectif opposé à la brutalité policière(COBP), y compris à une dizaine des 15 manifestations annuelles contre la brutalité policière. Je n’ai pas été de celles de l’année dernière, ni de cette année, mais j’ai suivi la commotion dans les médias. La stratégie médiatique des policiers du SPVM est toujours la même : mentir en délégitimant le COBP. On affirmera par exemple qu’il est le seul groupe à ne pas communiquer le trajet de sa manifestation. C’est faux. Plusieurs manifestations étudiantes et communautaires, entre autres, sillonnent les rues de Montréal sans que la police n’en connaisse le trajet. Pendant la grève du syndicat des professeur-e-s de l’UQAM a laquelle j’ai participé en 2009, plusieurs manifestations plus ou moins spontanées se sont déroulées dans le centre ville de Montréal sans autorisation de la police, et sans qu’elle n’en connaisse le trajet. Au sujet de la manifestation du 15 mars, le SPVM déclare toujours craindre des débordements, mais se dit prêt à procéder à des arrestations seulement si nécessaire. Or cette mise en récit des événements, où la police se présente comme attentiste et réactive, ne correspond pas à la réalité dans la rue. D’ailleurs, cette année encore, la police a procédé à des arrestations «préventives» d’individus qui n’avaient que des drapeaux et des pancartes, avant même le début de la manifestation. Ce choix de la police ressemble à de la provocation et ne peut que stimuler la colère d’une foule critique des abus policiers.
Un étude qui tombe à point
Pour y voir plus clair, il est très instructif de lire un article paru aux États-Unis en décembre 2010 dans la revue Mobilization, intitulé «Asymmetry in Protest Control?» et signé par Patrick Rafail, un ancien étudiant de l’Université McGill en études statistiques aujourd’hui professeur de sociologie à l’Université d’État de Pennsylvanie. L’auteur procède à une analyse quantitative de 1500 manifestations à Vancouver, Toronto et Montréal pour identifier les variables (cause ou taille de la manifestation, identité sociale ou politique des contestataires, destruction de propriété, etc.) qui influencent les probabilités qu’il y ait brutalité policière et des arrestations. L’auteur constate que les arrestations sont rares, mais pas inhabituelles, et qu’elles sont généralement précédées ou accompagnées par de la violence policière. La police procède à des arrestations dans 16% des manifestations à Toronto, 14% à Montréal, et 13% à Vancouver. L’auteur constate que le recours à l’arrestation de masse est plus courant à Montréal, soit dans 22% des manifestations où il y a des arrestations (10% à Toronto et 4% à Vancouver).
Si l’étude date de quelques années, les manifestations du 15 mars sont depuis la cible d’arrestations de masse (221 en 2009 et 83 en 2010), une pratique identifiée par plusieurs sociologues spécialistes de la répression policière à l’approche de «strategic incapacitation», ou neutralisation stratégique (voir The Policing of Transnational Protest, 2008). L’objectif est de retirer de la rue un maximum de contestataires, indépendamment de leurs actions, quitte à ce que les juges les déclarent non coupables plus tard. C’est l’histoire du Sommet du G20 à Toronto en juin 2010, où 300 agents du SPVM s’étaient portés volontaires : près de 1200 arrestations, mais moins de 4% d’accusations. C’est aussi l’option trop souvent retenue depuis une dizaine d’années par le SPVM.
Le 15 mars 2011, la police a arrêté 258 personnes, les accusant d’une infraction au code de la route, soit d’avoir entravé la circulation de véhicules automobiles (en français, cela se nomme une manifestation!). Les contraventions sont d’un montant de 488$ l’unité. Le prétexte : une seule vitrine brisée, et quelques projectiles lancés. Suis-je le seul à constater un abus policier? Surtout que l’arrestation de masse soulève de graves questions en termes de droits fondamentaux (voir le livre Sur la manifestation : le droit et l’action collective, du juriste Patrick Forget de l’Université de Moncton). Le SPVM a d’ailleurs été dénoncé à plusieurs reprises pour son recours à cette tactique, y compris en 2005 par le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, qui avait demandé une enquête publique (qui n’a jamais eu lieu) à ce sujet.
Les policiers font ce qu’ils veulent Patrick Rafail constate enfin, comme plusieurs sociologues, que les faits et gestes des manifestantes et des manifestants, y compris la destruction de propriété, n’est pas une variable très importante pour expliquer la violence policière. Comme l’auteur l’indique, «il apparaît que les arrestations ne sont pas liées à ce que les contestataires font», mais à la cause portée ou à qui ils sont. L’analyse quantitative lui permet de conclure que «la police de Montréal cible systématiquement certains groupes de contestataires» en fonction de leur identité politique, et «que le thème de la manifestation est un puissant prédicateur de l’action de la police à Montréal, alors que cela n’a que peut d’incidence à Vancouver». À Toronto, la police sera surtout violente si elle considère que la manifestation est «radicale», indépendamment des revendications et des actions des contestataires.
En conclusion, moins les policiers du SPVM ont de respect pour la cause et l’identité politique associées à la manifestation, plus ils ont tendance à être violents, même si aucun geste illégal n’a été commis. À l’inverse, plus les policiers ont du respect pour la cause et l’identité des manifestants, plus ils seront tolérants et fermeront même les yeux face à des méfaits mineurs ou majeurs. Les médias font donc une erreur lorsqu’ils acceptent la version de la police qui dit, comme le journaliste Hugo Meunier de La Presse pendant la manifestation du 15 mars 2011, que «les infractions commises auraient forcé les policiers à foncer sur les manifestants». En fait, ce lien de cause à effet n’existe pas, car les policiers ne sont pas «forcés» d’agir face à une infraction, si infraction il y a eu, et ne sont évidemment pas «forcés» d’arrêter 258 personnes pour quelques méfaits. Le sociologue Patrick Rafail désigne sous le nom de «modèle de répression sélective» ce choix de la police de réprimer les manifestations non pas en fonction de ce qui s’y passe, mais en fonction de la cause ou l’identité sociale et politique des contestataires.
Qui a commencé?
Enfin, des études en sociologie des médias constatent que les médias tendent à croire ce que leur dit la police de leur pays, soit qu’elle n’a fait que réagir à la violence des manifestants,mais que ces mêmes médias prennent généralement le point de vue des manifestants des paysétran gers soumis à des régimes honnis. En conséquence, on prétend qu’ici, ce sont toujours les(mauvais) manifestants qui «commencent» et «notre» police ne fait que réagir. À l’étranger, la police «commence» et les (bons) manifestants se défendent. Il s’agit d’une illusion idéologique.
Dans le cas du SPVM face à des citoyennes et des citoyens qui critiquent la police en descendant dans la rue le 15 mars, j’ai constaté que c’est la police qui commence le plus souvent, soit en déployant une force excessive et surtout en procédant à des arrestations «préventives» avant la manifestation, deux choix qui relèvent de la provocation. Sans compter tous les abus et la violence des policiers qui frappe 365 jours par année et de manière discriminatoire des catégories sociales démunies et exclues.
Il est malheureux, politiquement, que les médias soient tous les ans si prompts à relayer les propos de la police en cette journée internationale contre la brutalité policière. Pourquoi ne pas en profiter, plutôt, pour offrir au public des dossiers spéciaux sur la brutalité policière. Ce serait facile : celle du SPVM est très bien documentée. Si vous ne trouvez pas la documentation,il n’y a qu’à demander au COBP! Après tout, le 15 mars devrait être la journée des gens critiques de la police, bien plus que celle de la police.
* Professeur de science politique à l’UQAM et sympathisant du Collectif opposé à la brutalité policière (COBP)
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