jeudi, novembre 26, 2009

Hostie d’vieux monde ! L’anarchisme au Québec

Un texte provenant de la Sociale, le périodique du Groupe D’Anarchistes de Lille et Environs, membre de la Coordination des Groupes Anarchistes. Un texte écrit par un camarade français qui résume bien "l'état des lieux" du mouvement anarchiste au Québec.

Depuis le début des années 2000 le mou­ve­ment liber­taire au Québec reprend force et vigueur. Soit qu’elles le reven­di­quent expli­ci­te­ment dans leurs prin­ci­pes, soit qu’elles le reconnais­sent en pra­ti­que, les orga­ni­sa­tions d’affi­lia­tion anar­chis­tes par­sè­ment la société civile et ten­dent à gagner en visi­bi­lité, mal­gré leur mor­cel­le­ment rela­tif.

Première remar­que, les par­tis d’extrême gau­che sont à peu près inexis­tants. Sur la scène poli­ti­que, le seul parti véri­ta­ble­ment à gau­che, Québec Solidaire (QS), s’avère être une struc­ture oppor­tu­niste, créée en 2006, qui tente de pros­pé­rer sur l’insa­tis­fac­tion géné­rée par les poli­ti­ques néo-libé­ra­les et l’ampleur gran­dis­sante des mou­ve­ments sociaux. Débarrassé des para­dig­mes de la gau­che marxiste, QS incarne le pro­jet de renou­veau de la gau­che électorale au Québec, enchâs­sée dans la logi­que du bipar­tisme nord-amé­ri­cain. Son objec­tif est de “fé­dé­rer les for­ces pro­gres­sis­tes de gau­che” [1]. dans la pers­pec­tive de jouer, à terme, le jeu de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive. Ses pre­miers résul­tats électoraux étaient pro­ches de 4% à l’échelle pro­vin­ciale.



Le mou­ve­ment syn­di­cal est lui aussi par­ti­cu­liè­re­ment “in­té­gré”. Il faut dire que pour béné­fi­cier des conven­tions col­lec­ti­ves dans sa bran­che un-e ouvrier-ère est contraint-e d’être syn­di­qué-e, qu’il n’existe qu’un seul syn­di­cat par entre­prise (car il faut être majo­ri­taire pour être reconnu) et que le droit de grève est léga­le­ment res­treint aux pério­des de négo­cia­tion des conven­tions col­lec­ti­ves. Résultat, avec leurs allu­res d’orga­ni­sa­tions de masse, les syn­di­cats entre­tien­nent le mythe de la repré­sen­ta­ti­vité et de la “concer­ta­tion sociale” en adop­tant trop rare­ment une atti­tude com­ba­tive. Au contraire, la plu­part ont défi­ni­ti­ve­ment cédé le pas aux règles de la coges­tion, tan­dis que les syn­di­ca­lis­tes révo­lu­tion­nai­res de l’IWW (Industrial Workers of the World) ne sont qu’une poi­gnée.
Une décennie de luttes anti-autoritaires

Les lut­tes socia­les ne sont pas pour autant absen­tes. Pour en dres­ser un tableau du point de vue du mou­ve­ment liber­taire, il faut en reve­nir à avril 2001. C’est en effet à la suite de la tenue du Sommet des Amériques à Québec [2], que la cri­ti­que anti-capi­ta­liste pro­po­sée par les anar­chis­tes ancre la pers­pec­tive liber­taire dans le débat public. L’ini­tia­tive déter­mi­nante fut peut être celle de la Convergence des Luttes Anticapitalistes (la CLAC), dont l’essence n’est pas expli­ci­te­ment anar­chiste mais dont les prin­ci­pes de fonc­tion­ne­ment s’ins­pi­rent de pra­ti­ques liber­tai­res. Fondée en avril 2000, la CLAC fait direc­te­ment écho à la contes­ta­tion qui s’est expri­mée contre l’OMC à Seattle en 1999. Ses prin­ci­pes fon­da­teurs s’ins­pi­rent du réseau de l’Action Mondiale des Peuples (AMP) créée à la suite des Rencontres inter­ga­lac­ti­ques pour l’huma­nité et contre le néo­li­bé­ra­lisme orga­ni­sées par le mou­ve­ment zapa­tiste en 1998. Pour faire vite : démo­cra­tie directe et non-hié­rar­chi­que, décen­tra­li­sa­tion et auto­no­mie des réseaux de lutte, res­pect de la diver­sité des tac­ti­ques (refu­sant ainsi la cri­mi­na­li­sa­tion des actes de vio­lence poli­ti­que).

Une fois les contre-som­mets pas­sés, les liber­tai­res de la CLAC se tour­nent vers des thé­ma­ti­ques spé­ci­fi­ques comme la crise du loge­ment à Montréal ou l’oppo­si­tion à la guerre « contre le ter­ro­risme ». Cette réo­rien­ta­tion de l’action poli­ti­que répond alors à une volonté des mili­tant-es d’enra­ci­ner leurs actions à la base, autour d’enjeux concrets.
Quelques repères organisationnels

La Fédération des Communistes Libertaires du Nord-Est (connue sous l’acro­nyme anglais de NEFAC) a été fon­dée en avril 2000. Elle a regroupé jusqu’à l’année der­nière des orga­ni­sa­tions cana­dien­nes et états-unien­nes agis­sant prin­ci­pa­le­ment en milieu urbain et pré­co­ni­sant l’impli­ca­tion dans les lut­tes socia­les et dans le milieu du tra­vail, dans une pers­pec­tive de radi­ca­li­sa­tion des mou­ve­ments sociaux. C’est tou­jours vrai pour son héri­tier qué­bé­cois, l’Union Communiste Libertaire (UCL) qui fédère les grou­pes de Québec, Montréal, Saguenay et Saint-Jérôme, publie un jour­nal fran­co­phone Cause Commune (bimes­triel gra­tuit tiré à 3000 exem­plai­res) ainsi qu’une revue de réflexion, Ruptures. Par ailleurs, les col­lec­tifs mont­réa­lais et qué­bé­cois sont par­tie pre­nante dans la vie de deux librai­ries : L’insou­mise à Montréal (qui com­prend aussi une biblio­thè­que) et La Page Noire, à Québec. Toutes deux accueillent débats et événements publics et la presse anar­chiste fran­co­phone y est par­ti­cu­liè­re­ment bien repré­sen­tée. Au prin­temps, se tient à Montréal un salon annuel du livre anar­chiste, impor­tant point de conver­gence pour les liber­tai­res de toute l’Amérique du Nord, ainsi qu’un fes­ti­val inter­na­tio­nal de théâ­tre anar­chiste, qui a fêté ses 5 ans cette année.

Si les mani­fes­ta­tions sont net­te­ment moins fré­quen­tes qu’en France, c’est que les struc­tu­res col­lec­ti­ves se déploient essen­tiel­le­ment à l’inté­rieur de la société civile, et de ce que l’on nomme ici le “mou­ve­ment com­mu­nau­taire” (com­pre­nez “as­so­cia­tif”). A Montréal par exem­ple, le col­lec­tif La pointe liber­taire, ancré dans le quar­tier de la Pointe Saint-Charles agit loca­le­ment pour ren­sei­gner et agir contre les poli­ti­ques de gen­tri­fi­ca­tion menées dans cet ancien quar­tier ouvrier, situé pro­che du cen­tre-ville. Le col­lec­tif com­mu­ni­que de manière cri­ti­que sur les déci­sions du conseil d’arron­dis­se­ment à tra­vers son Agence de Presse Libre sur inter­net, use de l’action directe pour la réap­pro­pria­tion de ter­rains vacants. Il a ainsi contri­bué à la mise en place d’un jar­din com­mu­nau­taire et tente depuis un an main­te­nant de trou­ver un bâti­ment sus­cep­ti­ble d’héber­ger son Centre Social Autogéré.
Luttes étudiantes et luttes féministes

Le dyna­misme récent du mou­ve­ment liber­taire au Québec doit beau­coup à l’impor­tance de la com­mu­nauté étudiante. Depuis 1996 et le retour du syn­di­ca­lisme étudiant de com­bat, les struc­tu­res étudiantes comme l’ASSE (Association pour une soli­da­rité syn­di­cale étudiante créée en 2001) béné­fi­cient de res­sour­ces mili­tan­tes et orga­ni­sa­tion­nel­les non négli­gea­bles. L’ASSE fédère de mul­ti­ples asso­cia­tions étudiantes sur des prin­ci­pes de démo­cra­tie directe et d’auto­ges­tion, lut­tant notam­ment pour la gra­tuité de l’ensei­gne­ment supé­rieur. Elle tire son jour­nal inti­tulé L’Ultimatum à plus de 20.000 exem­plai­res tous les mois (! !!). Sur la ques­tion des lut­tes, si l’on prend l’exem­ple de l’UQAM [3], deux grè­ves ont récem­ment mobi­lisé ses mem­bres : à l’hiver 2005 puis au prin­temps 2009 [4]. La pre­mière grève fut déclen­chée à tra­vers toute la pro­vince en réac­tion à une mesure de com­pres­sion de l’Aide Financière aux Études. Elle par­vint fina­le­ment à réduire les cou­pes pro­mi­ses par le Parti libé­ral du Québec. Au début de l’année, un front com­mun d’étudiant-es et de pro­fes­seur-es obtint la reva­lo­ri­sa­tion sala­riale du per­son­nel.

Il fau­drait un arti­cle entier pour décrire la force du mou­ve­ment fémi­niste, et a for­tiori du fémi­nisme radi­cal au Québec. C’est à peu de cho­ses près le seul mou­ve­ment qui a su tra­ver­ser cor­rec­te­ment la vague réac­tion­naire des années 1980. Jusque dans la vie ins­ti­tu­tion­nelle, les acquis des lut­tes fémi­nis­tes trans­pa­rais­sent. Par exem­ple, depuis 1973, le gou­ver­ne­ment du Québec a mis en place un conseil du sta­tut de la femme, conseil consul­ta­tif, entiè­re­ment non-mixte et rat­ta­ché au minis­tère de la condi­tion fémi­nine. Par ailleurs, les pro­duc­tions uni­ver­si­tai­res sur les Gender stu­dies (ou études de genre) sont nom­breu­ses. On se rap­pelle aussi qu’en 2000 la Marche mon­diale des Femmes contre la pau­vreté et la vio­lence faite aux fem­mes, ini­tia­tive lan­cée par la fédé­ra­tion des fem­mes du Québec avait reçu l’adhé­sion de 6000 grou­pes de 161 pays dif­fé­rents, avant de se trans­for­mer en plate-forme d’asso­cia­tions. Le col­lec­tif Les Sorcières, d’ins­pi­ra­tion liber­taire, appa­raît quant à lui direc­te­ment en réac­tion au sexisme en milieu mili­tant tout en dénon­çant la logi­que sys­té­mi­que et spé­ci­fi­que de la domi­na­tion mas­cu­line. Enfin, signa­lons qu’à Québec, le col­lec­tif “Ainsi squat­tent-elles” réa­lise une émission de radio tous les mardi [5] dont l’objec­tif est de “squat­ter les ondes” pour en faire un espace de réflexion et d’ana­lyse fémi­niste liber­taire, tout en per­met­tant à des fem­mes de pren­dre la parole.
Vive le Quebec lib...ertaire !

Malgré tout, le mou­ve­ment anar­chiste au Québec, dans l’infi­nité de ses com­po­san­tes, demeure fra­gile. Comme en France, l’effec­tif mili­tant dépend encore beau­coup de l’actua­lité des mou­ve­ments sociaux (non que cela soit spé­ci­fi­que au milieu anar­chiste d’ailleurs). Il n’en demeure pas moins que le réel dyna­misme des liber­tai­res qué­bé­cois-es sur la scène poli­ti­que et sociale appa­raît véri­ta­ble­ment réjouis­sant et riche d’ensei­gne­ments pour qui­conque s’inté­resse aux dif­fé­ren­tes for­mes de contes­ta­tion sociale.

Pour aller plus loin :

- Francis Dupui-Déri (Dir.), Québec en mou­ve­ments, éditions Lux, 2008.
- Mathieu Houle-Courcelles, Sur les Traces de l’Anarchisme au Québec (1860-1960), éditions Lux, 2008
- Le blo­gue d’infor­ma­tion du col­lec­tif de Montréal La com­mune, mem­bre de l’UCL : http://nefacmtl.blog­spot.com

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