lundi, mai 11, 2009

[Le capital en déroute] Chronique no.5: L’échangeur Turcot.


En 2007, le gouvernement libéral, par le biais du ministère des Transports du Québec (MTQ), imposait aux habitants des quartiers Saint-Henri et Côte-Saint-Paul (sud-ouest de Montréal), son énorme projet de réfection de l'échangeur Turcot. Un projet en partenariat public-privé qui coûtera 1,5 milliard de dollars sur sept ans et aura un impact environnemental énorme en plus de provoquer l'expulsion de centaines de foyers. (1) (2)

L'historique

L'échangeur fut mis en service en 1967, dans le sillage de l'exposition universelle de Montréal au coût de 24 millions de dollars (de l'époque) répartis entre les trois paliers de gouvernement. Érigé à l'époque par la firme Lalonde et Valois, devenue SNC-Lavalin, une firme d'ingénierie québécoise « respectable » et un fabriquant majeur de munitions au Canada, qui a depuis diversifié ses champs de compétence: du pétrole aux barrages, en passant par les projets dans les territoires cris et innus, la construction de réacteurs nucléaires en Chine, la biotechnologie et l'autoroute blindée dans la bande de Gaza. Bref, une firme qui depuis sa création a toujours fait passer le profit avant les gens.

À l'époque, la construction de l'échangeur avait causé la destruction d'une partie des quartiers Saint-Henri et Petite-Bourgogne et d'une multitude d'usines (3). Plus de 6 000 personnes furent alors expulsées, c'est-à-dire un quartier entier (4). Une logique d'urbanisme classique calquée sur la vision individualiste de nos voisins du sud, basée uniquement sur la voiture et qui n'était pas fondée sur des principes de développement durable. Une quarantaine d'années plus tard, l'échangeur reliant trois autoroutes névralgiques, soit la 20, la 720 et la 15, permet la circulation de plus de 280 000 véhicules par jour, un chiffre bien au-delà de sa capacité réelle. L'usure du temps et l'achalandage imprévisible en 1967 ont maintenant fait leur œuvre et il est nécessaire et urgent de faire des travaux majeurs afin d'éviter une catastrophe telle que l'effondrement du viaduc de la Concorde en 2006 qui avait causé la mort de cinq personnes. Un viaduc qui datait également des années 60.

Impacts du projet

Ce que le MTQ propose, c'est un nouvel échangeur qui pourra accueillir plus de 300 000 voitures par jour, soit 20 000 supplémentaires. Mais que représentent concrètement 20 000 voitures de plus?

En spéculant sur des émissions moins polluantes d'ici à 2016, la date de mise en service projetée de l'échangeur, le MTQ suppose que le niveau de pollution de l'air sera maintenu au même niveau (5). En plus de la pollution atmosphérique, ce projet provoquera une augmentation des gaz à effet de serre, des îlots de chaleur, de la pollution de l'eau, des sols et de la pollution sonore et un accroissement des dépenses énergétiques. À tout cela s'ajoute une absence totale de développement de transport en commun visant à diminuer le nombre de véhicules sur l'île de Montréal. En ce qui concerne le niveau de pollution atmosphérique, déjà élevé selon la Direction de la santé publique de Montréal (DSPM), il provoque un nombre accru de décès prématurés. De plus il est responsable d'une multitude de problèmes de santé, dont une hausse des problèmes respiratoires chez les enfants vivant à moins de 150 mètres d'un axe routier où circulent plus de 10 000 véhicules par jour et des hausses de 17 % des risques de naissance d'enfants de faible poids (1). D'ailleurs, la DSPM propose de « cesser d'augmenter la capacité routière » et « de réaliser une meilleure intégration de l'urbanisme et du transport ».

En parallèle aux conséquences négatives sur la santé, il est important de souligner que l'Agence de santé et des services sociaux de Montréal rapporte que la proportion de ménages à faibles revenus est beaucoup plus élevée le long des axes de circulation à grand débit (plus de 7 700 voitures/heure durant les périodes de pointe). Ce sont évidemment ces mêmes habitants des quartiers les plus pauvres qui furent expulsés et déplacés lors des grands chantiers d'autoroute, des années 60 et 70, à Montréal et en Amérique du Nord (6). En plus de subir les impacts sur la santé au quotidien, ils subissent l'affront d'être sans cesse déplacés au nom du développement économique. Encore une fois, l'État et ses amis capitalistes agissent en se foutant éperdument des populations précarisées par des années de néo-libéralisme.

Cette fois-ci, ce seront plus de 174 familles (plus de 400 personnes) qui seront expulsées au nom du profit, soit plus de 25 immeubles résidentiels, en plus de 36 commerces (5). Des familles qui seront faiblement dédommagées par trois mois de loyer et les frais de déménagement. Ridicule. Ils seront évidemment laissés à eux-mêmes dans un marché locatif en pénurie, et risquent donc de voir le pourcentage de leur revenu dédié au logement, déjà trop élevé, augmenter encore plus. Pour couronner le tout, le projet que le MTQ met en avant consiste à reconstruire, à côté des structures actuelles et sans arrêter la circulation, un nouveau réseau routier. Ce qui est la principale raison de ces expropriations!

Quand profit rime avec... profits

Ce projet de développement au coût de 1,5 milliard de dollars sur sept ans représente l'un des plus gros projets de partenariat public-privé à ce jour au Québec. Un projet effectué sans aucune consultation de la population, qui le paiera en bout de ligne par le biais des taxes et des impôts. Quoi de mieux, et de surcroît en période de crise, que de relancer la machine capitaliste par le biais de l'État? Les grands projets d'infrastructure, dont le gouvernement nous vante les mérites en termes de création d'emplois et tente de nous convaincre de la nécessité tant d'un point de vue sécuritaire qu'environnemental ou même esthétique, sont liés à la propriété foncière privée et aux grands monopoles de la construction. La dette publique, ennemi juré de l'État en période de croissance économique, redevient une source sûre pour le capital privé qui nécessite en ce moment une consolidation et une accumulation afin d'éponger les pertes liées au récent écroulement des marchés financiers. L'État sert alors de prêteur (sans intérêts) aux capitalistes qui construisent et qui lui refilent ensuite des factures supérieures à leur coût réel. Cet argent emprunté au système bancaire par l'État permet donc, tant par les intérêts engendrés au profit de la banque que par les profits privés générés par ces infrastructures, de faire fructifier le capital privé. Ce sera évidemment la population qui épongera cette dette publique, par le biais de taxes et impôts divers. Cette « relance de l'économie » est une tentative de protéger et d'accroître les capitaux à nos frais au détriment de l'environnement et de nos conditions de vie. De plus, avec les récents scandales dans les milieux de la construction impliquant des politiciens, des syndicats et le crime organisé, on peut se douter que les politiciens et les capitalistes vont se remplir les poches avec ce projet.

C'est à nous tous et toutes maintenant d'exiger autre chose!


(1) Mobilisation Turcot
(2) Cyberpresse
(3) wikipedia
(4) Village des Tanneries
(5) Radio-Canada
(6) Agence de la Santé et des Services Sociaux de Montréal

1 commentaire:

Makhno a dit…

Ce texte a été diffusé sous forme de tract lors de l'ouverture, hier le 11 mai, des audiences publiques sur la reconstruction de l'échangeur Turcot du BAPE par des membres de l'UCL-Montréal.