dimanche, mai 09, 2010

Il n’y a plus qu’une seule chose à régler: nos comptes avec le capital et son État

Un texte publié par des camarades communistes libertaires grecs, "l’agence de notation de crédit des prolos et des pauvres". Plusieurs traductions différentes sont disponibles sur le web,  nous publions donc celle-ci.

Un compte-rendu des luttes récentes en Grèce
Dans les périodes de crise, telles que la période actuelle de suraccumulation, les capitalistes manient la politique de « dette publique » de sorte à inventer de nouvelles façons d’intensifier l’exploitation. Au contraire des embellies capitalistes, lorsque la dette privée s’accroit, les récessions sont caractérisées par l’accroissement de la « dette publique ». L’investissement privé en obligations d’État garantit des profits qui proviennent des contributions directes et indirectes des travailleurs, dans le but de percevoir des dividendes et menant, finalement au renforcement du secteur bancaire. Ainsi, la « dette publique », contrairement à ce qui est généralement annoncé, vient en aide au capital privé et, de la sorte, doit être comptabilisée au titre de ses profits.

De plus, sur les 2 dernières années, la « dette publique » a triplé dans 20 des 27 pays de l’UE, du fait des dépenses massives pour renflouer le secteur financier. Cet argent ne fut pas distribué par le biais de prêts au capital privé (non bancaire) pour des investissements productifs. En outre, les emprunts publics furent et continuent à être faits suivants des conditions qui outrepassent largement le taux de profit moyen, rendant les investissements en obligations d’État bien plus rentables que les investissements pour la création d’unités de production et, a fortiori donc, d’autant plus intéressants que ce genre d’investissement est exempt des risques de luttes sur les sites de production.

La récession économique généralisée des années précédentes, qui est la manifestation la plus récente de la crise de reproduction permanente du capital, ces 35 dernières années – une crise que viennent juste interrompre des rétablissements temporaires –, a touché de façon inéluctable l’accumulation sur l’aire nationale. Toutefois, hormis les conséquences de la réduction de l’activité économique globale sur les exportations de capital grec, en particulier dans le fret maritime et le tourisme, la récession est aussi devenue l’occasion de mettre à jour la crise permanente dans la mise au pas et l’exploitabilité du prolétariat.

Après la période qui court du milieu des années 90 au milieu des années 2000, lorsque le capital était parvenu à accroitre le taux d’exploitation et à augmenter sa rentabilité, la rentabilité du capital en Grèce a ralenti sans interruption ces dernières années, du fait de la faible hausse de productivité en regard des salaires. En conséquence, elle a commencé à chuter davantage depuis 2006, jusqu’à s’écrouler, au premier semestre 2009, de 51,5 % par rapport au premier semestre 2008, du fait de la récession globale. La chute du chiffre d’affaires et de la rentabilité dans les entreprises privées a conduit à son tour à une importante réduction des investissements du fait de l’incapacité croissante des entreprises à obtenir des crédits de la part des banques. De plus, les banques étaient directement touchées, puisque leurs profits déclinaient dramatiquement à cause de l’augmentation significative des pertes provenant des retards de paiement ou des prêts impayés ; elles avaient, en sus, un problème de liquidités plus général à cause de la crise financière globale.


Naturellement, l’État n’est pas resté les bras croisés. Il s’est dépêché de se confronter aux problèmes qui apparaissaient du fait de l’éruption de la crise, en augmentant les dépenses publiques de 10,9 % en 2009, afin de soutenir l’accumulation, contribuant de la sorte à hauteur de 1,7 % au PIB. En même temps, l’État renflouait les banques avec des fonds de 28 milliards d’euros, ce qui correspond à 11,5 % du PIB, afin de préserver leur rentabilité. Cette politique sera poursuivie par le gouvernement du PASOK , qui fournira un apport supplémentaire de 10 milliards d’euros. À côté de ça, les dépenses publiques furent aussi augmentées pour d’autres raisons, comme par exemple pour le financement du chômage, puisque le nombre de chômeurs avait augmenté, alors que les taxes et les contributions avaient diminué du fait de la récession, c’est-à-dire du déclin du PIB (et encore plus du fait des baisses consécutives des taux d’imposition sur les profits, ces 20 dernières années). Le résultat fut, et cela n’est pas surprenant, que le déficit public tout comme la dette publique montèrent en flèche pour atteindre respectivement 12,5 % et 112,6 %, en proportion du PIB.
Depuis 2008, les institutions financières ont décidé d’investir principalement dans les obligations d’État qui se sont multipliées, presque partout, du fait de la politique générale des États de renflouer les banques. Après la crise du fonds souverain de Dubaï en octobre dernier et l’échec des agences de notation de la prévoir, ces agences s’employèrent frénétiquement à rétrograder les obligations d’État grecques et à augmenter les dérivés sur événement de crédit . Le fait que la BCE soit sur le point d’augmenter le taux de crédit minimal pour l’éligibilité des obligations d’État comme nantissement de provision en liquidités, début 2011, a encouragé les institutions financières détenant des obligations d’État grecques à s’en débarrasser, précipitant la « crise de la dette » et augmentant les intérêts, ce qui, à son tour, éleva le coût de refinancement de la dette. Ainsi, les dépenses publiques liées au payement des intérêts tout comme les provisions pour l’accroissement du déficit public et de la dette ont augmenté.

Ainsi, dans un climat de terrorisme fiscal qui a été orchestré depuis quelques mois déjà par les médias, on en a appelé à un état d’urgence en Grèce, dans une tentative du capital international et de l’État grec de transformer ce pays en une laboratoire d’une nouvelle politique de choc. La « dette publique » énorme et la « banqueroute imminente du pays » sont les crédos employés afin de terroriser et de mettre au pas le prolétariat, et de légitimer la baisse des salaires directs et indirects et ainsi de mettre sous un joug néolibéral exemplaire, de dimensions internationales, ses attentes et ses revendications.

Les mobilisations sont restées jusqu’à présent assez tièdes et ne correspondent certainement pas au caractère critique de la situation et à la férocité des mesures. Il y a un sentiment général d’impuissance et de paralysie, mais aussi de colère ne pouvant trouver un débouché adéquat. Certainement, il y a un vrai mécontentement envers la politique de choc que le gouvernement PASOK met en œuvre (baisse des salaires, baisses des aides, plus de taxes directes et indirectes, repoussement de l’âge de la retraite, intensification du contrôle policier, etc.). On peut percevoir ce mécontentement dans les conversations de tous les jours au travail, il y a pourtant un silence fragile qui l’emporte face à la dictature de l’économie et la toute-puissance des « marchés ». Le mantra de « l’unité nationale » est un des outils préférés du gouvernement, comme on peut s’y attendre dans de pareils moments ; il n’a pourtant pas encore atteint un stade dangereux.

Les confédérations syndicales, la GSEE (l’organisation qui chapeaute les syndicats du secteur privé) et l’ADEDY (son homologue pour le public) sont totalement contrôlées par le gouvernement socialiste et s’efforcent d’éviter toute véritable résistance contre la récente offensive. Pour l’heure, il semble plutôt improbable que la crise, et la pression exercée sur ces mammouths par la base, conduisent à des changements majeurs dans leur structuration et leur rôle, si on prend en compte le comportement quasi léthargique des cadres syndicaux du plus bas niveau dans le parti socialiste, qui remportent toujours la majorité des votes sur la plupart des lieux de travail.

Le 10 février, il y a eu la première grève appelée par l’ADEDY avec une participation plutôt faible des grévistes du secteur public. Nous essayerons ensuite de donner une description de la manif du 24 février à Athènes, lorsque la GSEE et l’ADEDY appelèrent à la première grève générale contre les mesures d’austérité. L’estimation du nombre grévistes est autour de 2-2,5 millions. Dans certains secteurs (les ports, les chantiers navals, les raffineries, le bâtiment, les banques et les entreprises de services publics), la participation allait de 70 % à 100 %. Dans le secteur public (éducation, santé, services publics et ministères, bureaux de poste), la participation était plus faible, entre 20 % et 50 %.

Les estimations du nombre de participants à la manifestation lors de la grève varient beaucoup. La police donne 4 000, d’après certains médias le nombre est de 100 000 et d’autres parlent de 9 000 à 30 000 manifestants. En termes de participation, on peut dire qu’un nombre d’environ 40 000 est une estimation fiable.

On peut distinguer deux caractéristiques principales de cette manif. La première est la participation notable de nombre d’immigrés, non seulement « sous le commandement » des organisations de gauche, mais aussi diffuse dans le cortège des manifestants. Il nous faut mentionner que la participation des immigrés est actuellement liée à la nouvelle loi sur « la citoyenneté pour les immigrés », qui crée des divisions parmi eux en distinguant la catégorie de ceux, très peu, qui sont éligibles à la citoyenneté et les milliers condamnés au no man’s land de l’illégalité.

La seconde caractéristique est que le combat de rue qui eut lieu entre la police anti-émeute et les manifestants ne provenait pas nécessairement du milieu antiautoritaire–anarchiste – dans plusieurs cas, il y eut du combat rapproché, parce que la police anti-émeute avait reçu l’instruction du gouvernement socialiste de limiter l’utilisation du gaz lacrymogène. Il y eut des vitrines de banques brisées, des pillages de boutiques (librairies, grand magasin, supermarchés et cafés) et, bien qu’ils ne se soient pas généralisés, ces événements donnèrent certainement une tonalité assez différente à celle qu’on était en mesure d’attendre des manifs habituelles GSEE–ADEDY. Un incident de fin de manif est peut-être un bon révélateur ce changement d’ambiance : comme les manifestants marchaient sur la rue Panepistimiou, où commence Kolonaki, un quartier branché du centre d’Athènes, ils virent qu’à Zonar, un café traditionnel bourgeois et très cher, des clients guindés et bien habillés étaient en train de boire du champagne (!) et dégustaient leurs délicieux breuvages, très chers. La foule enragée envahit le café, brisa ses vitrines et bientôt des gâteaux furent distribués à un prix bien plus abordable !

Ces caractéristiques, selon nous, montre le grand impact que la révolte de décembre 2008 a eu sur la façon de protester. Une approbation générale des actes de violence envers les flics et les institutions capitalistes telles que les banques et les magasins était patente pendant la manif. De fait, à plusieurs reprises, les manifestants attaquèrent les flics pour les empêcher d’arrêter les « fauteurs de troubles ». Bien sûr, les appels de gauche à une « manifestation pacifique » ne manquaient pas, mais ils paraissaient insignifiants aux yeux de la plupart des prolétaires.

Il y avait certainement un sentiment général de joie à lâcher son indignation sur les flics et ainsi à exprimer la colère contre cette récente attaque, et ainsi la grève et la manif fonctionnèrent comme un antidépresseur puissant, bien qu’ayant un effet temporaire.

Enfin, il nous faut citer une manœuvre spectaculaire du PC  (en fait de son front ouvrier, appelé PAME ) la veille de la grève : ils squattèrent la Bourse tôt le matin avec une banderole surréaliste et plutôt incompréhensible disant en anglais « Crisis pay the ploutocracy » [la crise paye la ploutocratie]. Leur but était, selon leurs propres termes, de « montrer aux inspecteurs de la commission européenne, de la BCE et du FMI où était l’argent » – comme s’ils ne le savaient pas ! En fait, les services de la Bourse furent transférés à un autre bâtiment et les manifestants quittèrent l’occupation à 14 h. Nous reviendrons plus tard dans ce compte-rendu sur les pratiques employées par le PC et leur influence.

Le 3 mars, le gouvernement socialiste annonçait les nouvelles mesures pour le « salut du pays », comprenant une baisse de 30 % des treizième et quatorzième mois des travailleurs du public, une baisse de 12 % des subventions salariales, des hausses des taxes sur les carburants, l’alcool et le tabac, ainsi que des coupes dans les dépenses éducatives et de santé. Les premières réactions provinrent du PAME qui intensifia ses escarmouches spectaculaires, occupant cette fois le ministère des finances et quelques stations de télé dans les villes de province le jour suivant. Ce fut encore PAME qui appela en premier à des manifestations l’après-midi à Athènes et dans plusieurs autres villes pour le 4 mars. Plus tard, quelques syndicalistes et organisations de gauche, rejoints par le syndicat des professeurs du secondaire et l’ADEDY, appelèrent à une manif séparée à Athènes. Etant donné le court délai avant la manif et le sentiment général d’impuissance, environ 10 000 personnes manifestèrent dans les rues principales d’Athènes de façon plutôt terne, ce qui devait changer quelque peu dès le jour suivant.

Une fois encore, l’initiative de la grève du 5 mars fut prise par le PC qui avait appelé à une « grève générale » ce jour-là et à une manif. L’ADEDY et la GSEE prirent la suite avec un débrayage de trois heures, alors que les autres syndicats (les syndicats du primaire et du secondaire, ceux des transports publics) appelaient à une journée complète de grève. La manif du PAME rassembla environ 10 000 personnes et prit fin avant que l’autre n’ait démarré. Les antiautoritaires et les jeunes gens étaient visiblement plus présents cette fois-ci, et l’atmosphère était tendue dès le départ de la place Syntagma, près du Parlement, où le parti socialiste s’apprêtait à voter les nouvelles mesures.

Un moment plus tard, le dirigeant de la GSEE, Panagopoulos, commit l’erreur d’essayer de s’adresser à la foule, seulement pour se voir couvert de yaourt, d’eau et de café, et finalement de coups. La chose incroyable était que les attaques provenaient de différentes directions et rapidement ses nervis furent incapables d’empêcher une multitude de gens (où certainement les antiautoritaires et les gauchistes formaient la majorité) d’exprimer en pratique leur haine envers lui et ce qu’il représente. Il fut pourchassé et frappé jusque dans l’entrée du Parlement, et ensuite protégé par la police anti-émeute. Une foule en colère s’ameuta bientôt au pied du bâtiment. Les gardes folkloriques du Parlement durent immédiatement s’en aller et un combat commença entre les gens enragés et les escadrons anti-émeute. Ce fut le moment que les parlementaires de la coalition SYRISA choisirent pour faire leur propre action spectaculaire, déployant une banderole en face de l’entrée du Parlement, avec les mots de Breton, une phrase évoquant le fait que l’être humain devait être la réponse, et ce quelle que soit la question – une phrase qui rendait probablement les intellectuels althussériens anti-humanistes appartenant à SYRISA mal à l’aise, bien qu’on puisse la lire dans le sens social-démocrate propre à SYRISA, comme « les gens au-dessus des profits », le crédo préféré de cette coalition en ce moment. Lorsque Glezos, un membre de SYRIZA âgé de 88 ans et symbole de la résistance nationale à l’occupation nazie, essaya d’empêcher la police anti-émeute d’arrêter un jeune homme, il fut battu et gazé en pleine tête, et rapidement l’affrontement avec la police fut généralisé. Environ 300 personnes leur lançaient des pierres (principalement des antiautoritaires, mais pas seulement), et le reste resta sur place, criant et injuriant pendant quelque temps, jusqu’à ce que la police anti-émeute lance une attaque puissante pour essayer de disperser la foule. Un incident revigorant survint lorsque quelques personnes s’emparèrent des micros de la confédération syndicale et scandèrent des slogans contre l’esclavage salarié et les flics, que l’on pouvait entendre d’un bout à l’autre de la place, dans les nuages de lacrymo. Pendant ce temps, Tsipras, le dirigeant de SYRIZA, se précipitait dans le Parlement pour informer ses collègues parlementaires, qui venaient de voter les nouvelles mesures, de l’attaque sur Panagopoulos, la condamnant de la façon la plus catégorique.

La manif commença alors à avancer vers le ministère du travail, ce qui fut critiqué par nombre de manifestants comme une tentative de la part des syndicalistes d’apaiser les tensions aux abords du Parlement. Toutefois, les esprits étaient échauffés et ainsi, quand la manif attint le bâtiment du Conseil d’État, certains manifestants attaquèrent l’escouade anti-émeute qui le gardait. Rapidement, une foule immense se mit à lancer des pierres et divers projectiles sur eux, les pourchassant à l’intérieur du bâtiment. L’un d’entre eux, pourtant, n’y parvint pas et fut capturé, et quasiment lynché par les gens en colère. L’incident montre à la fois l’acceptation de l’escalade de violence, même de la part de gens qui réagiraient en temps normal différemment, et la haine envers la police, en particulier ces jours-ci. Il dura quelque temps parce que les renforts étaient empêchés d’approcher par les travailleurs licenciés d’Olympic Airways, qui se trouvaient à proximité. Ces travailleurs, peu après que les mesures aient été annoncées, occupèrent le Trésor public, rue Panepistimiou et avaient coupé le trafic routier jusqu’au 12 mars avec des voitures et des poubelles. La manif se dirigea vers le ministère qui avait auparavant été évacué au moment où les premiers manifestants approchaient. Bien que la présence policière se soit alors accrue, il y eut de la casse (banques, grandes librairies et grands magasins) et la manif prit fin plus tard à Propylea.

Bien que le gouvernement tente de faire porter la responsabilité des mobilisations sur les « extrémités » des partis de gauche, il faut souligner que SYRIZA a très peu d’influence sur les lieux de travail (excepté le syndicat du secondaire), alors que, d’un autre côté, l’idéologie et les pratiques staliniennes du PC appellent une analyse plus poussée.

La conjoncture actuelle constitue le terrain idéal pour les activités du PC, dans la mesure où la propagande gouvernementale elle-même et celle des médias sur la prétendue imposition des mesures draconiennes par l’UE, les marchés internationaux et les spéculateurs semblent confirmer sa rhétorique sur la « sortie de l’UE » et la « résistance aux monopoles et au grand capital », qu’il annone religieusement depuis les années 80. Étant l’un des principaux représentants de la classe ouvrière (en tant que classe du mode de production et de communication capitaliste) au sein de l’État grec et de ses institutions, le PC en appelle à l’établissement d’une économie nationale « populaire » dans laquelle la classe ouvrière profitera des avantages du capitalisme social-démocrate, au parfum de stalinisme. En fait, le PC, par ses actions, fait tout pour engluer les luttes dans les limites des institutions capitalistes, et mieux encore, dans celles qui sont le plus fétichisées, les élections et le Parlement, puisque, pour le PC, voter pour le parti et s’organiser en son sein constitue l’apogée de la lutte de classe.

La caractéristique majeure de l’activisme du PC reste la séparation complète entre les mobilisations de son organe syndical (PAME) d’avec le reste des prolétaires en lutte. Les manifestations organisées par le PAME et le PC ne se joignent jamais aux manifestations appelées par les autres syndicats et organisations étudiantes. Bien que nous ne soyons pas en mesure de savoir exactement ce qui se passe dans les appareils du PC et du PAME, du fait de leur mode d’organisation complètement impénétrable, l’expérience que nous avons de la participation aux réunions syndicales montre qu’ils exercent un contrôle total sur leur base. Nous tenons pour certain que les actions sont décidées par la direction du parti sans l’ombre d’une participation de la base, c’est pourquoi de nos jours les ex-membres du PC sont plus nombreux que ses membres.

Il faut reconnaître que le niveau d’activité de la classe est bas : des grèves de longue durée n’ont pas été organisées dans plusieurs secteurs simultanément, et l’on assiste pas non plus à des manifestations quotidiennes massives. Dans ce contexte, les activités du PAME (occupations de bâtiments publics tels que le ministère de l’économie et la Bourse, manifestations et défilés massifs – pratiques du PC depuis au moins le milieu des années 2000) semblent impressionnantes, en particulier lorsqu’ils parviennent à appeler en premier à la grève ou à une manif, obligeant la GSEE et l’ADEDY à suivre. Il est possible qu’un plan visant à la division de la GSEE et de l’ADEDY et de création d’une troisième confédération syndicale « indépendante » sous-tende cette stratégie. Bien sûr, il va sans dire que si la situation devient ingérable, en dépassant les grèves hebdomadaires de 24 heures, c’est-à-dire si des grèves longues surviennent, accompagnées d’une présence prolétarienne et d’une activité militante permanentes dans la rue, le PC assumera à nouveau son rôle de police en sapant les grèves qu’il ne contrôle pas, en appelant ses membres à déserter les rues et en tentant de réprimer violemment toute activité radicale. Après tout, cela fut sa pratique normale depuis la chute de la dictature et ils ont fait exactement la même chose pendant la rébellion de décembre 2008.

En ce qui concerne les petits syndicats de base qui se sont multipliés ces dernières années, qu’ils soient gauchistes ou anarchistes, ils ne sont pas en mesure de mobiliser les travailleurs en général, à l’exception de leurs affiliés. Leurs pratiques militantes (blocages des entreprises, implication dans les manifs) reposent principalement sur la participation active d’antiautoritaires, sans que ceux-ci en soient membres.

Le 5 mars, la GSEE et l’ADEDY ont appelé à une autre grève de 24 heures le mardi 11 mars, en réponse au climat de mécontentement général, bien que passif, vis-à-vis des mesures d’austérité annoncées, tentant par là de conserver un brin de légitimité. Il n’y a pas de chiffres définitifs disponibles pour les taux de participation à la grève, mais nous pouvons dire à coup sûr qu’ils furent plus élevés que les précédents (la GSEE affirme que la participation à la grève a atteint 90 %). Ce fut aussi probant du fait du nombre de manifestants qui était presque le double de celui de la manif du 24 février. D’après nos estimations, environ 100 000 personnes ont pris part aux deux manifestations, PAME et GSEE-ADEDY    (le PAME a organisé une manifestation à part, poursuivant ainsi sa pratique habituelle), même si les médias estiment que le nombre est autour de 20-25 000. La composition de la foule était aussi légèrement différente, puisqu’il y avait plus d’étudiants, quelques lycéens et plus de jeunes travailleurs, alors que les immigrés étaient absents cette fois-ci. De plus, un grand nombre de manifestants provenant de presque tout le milieu antiautoritaire ont pris part à la manif GSEE-ADEDY, dispersés dans toute le cortège.

Les tactiques différentes, bien plus offensives, de la police furent un autre trait caractéristique de la manifestation. Plus de 5 000 flics tentèrent de prévenir l’escalade de la violence prolétarienne en encadrant de près la manif de part et d’autre. Ils y parvinrent dans une certaine mesure, puisque relativement peu de gens n’étant pas issus du milieu antiautoritaire soutinrent le combat de rue ou participèrent activement aux affrontements avec la police. Cela peut aussi être lié à la composition plus large (et donc plus conservatrice) des manifestants, la plupart d’entre eux n’ayant pas connu de telles expériences. Néanmoins, il y eut de nombreuses confrontations avec la police à différents endroits pendant la manifestation, qui se poursuivirent jusqu’à la fin et se propagèrent ensuite autour d’Exarchia, où se dirigeaient de nombreux manifestants, selon la « tradition » en vigueur à de telles occasions.

Il faut de plus noter que cette fois-ci la direction des confédérations syndicales n’a pas fait que coopérer ouvertement avec la police, mais qu’elle a en fait donné des directives spécifiques aux escouades anti-émeute afin d’arrêter les manifestants sur l’avenue Patision, pour prendre la tête de la manif et éviter de possibles conflits avec la base et une répétition des événements du vendredi précédent, lorsqu’ils furent (activement) hués comme ils le méritent. Bien que la police ait arrêté et attaqué les premières lignes de la manif (qui comprenaient des blocs de certains syndicats gauchistes de l’enseignement primaire) afin permettre à la direction de la GSEE et de l’ADEDY de venir sur le devant, le comité de coordination des syndicats du primaire précédemment évoqués et d’autres syndicalistes gauchistes (tel un groupe de syndicalistes de l’OTE, l’ex-compagnie nationale de communications) appuyèrent politiquement cette manœuvre de la GSEE et de l’ADEDY en continuant leur chemin par un détour depuis l’avenue du 3 septembre, leur fournissant l’espace nécessaire pour prendre la tête et ensuite se plaçant juste derrière eux ! De plus, la GSEE et l’ADEDY firent tout ce qui était en leur pouvoir pour aider les flics à canaliser la manif. Quand ils atteignirent la place Syntagma, ils tentèrent de repousser les gens qui arrivaient après eux. Il n’est pas surprenant que la police ait divisé la manif à Propylea, où les affrontements éclatèrent, après que le bataillon des bureaucrates soit reparti vers leur QG.

Nous devons aussi signaler que les syndicalistes des forces de sécurité (la police, les pompiers, etc.) qui attendaient place Kolotroni que passe la manifestation séparée du PAME furent applaudis par les manifestants et les applaudirent à leur tour. Evidemment, ils disparurent rapidement, parce que « le rassemblement » avec les autres manifestants n’aurait pas été une très bonne expérience pour eux.
La composition de ces dernières manifs est différente de celles de décembre 2008, comme on pouvait s’y attendre. Les lycéens ne se sont pas montrés du tout, du moins pas en blocs identifiables, à part quelques-uns à la dernière, mais les étudiants étaient présents aux deux dernières manifs, alors qu’on appelait de plus en plus à des assemblées générales. En général, à part pour les étudiants, les segments précaires, « lumpen », marginaux de la classe qui étaient le sujet prédominant des émeutes sont absents, ce qui est compréhensible, puisque l’enjeu actuellement est le terrorisme fiscal imposé par les mesures d’austérité, menaçant les travailleurs ayant des emplois plus stables et plus à perdre. Ainsi, ce qui mérite une explication, c’est plutôt l’inertie exprimée par cette partie du prolétariat, dans la mesure où ses mobilisations jusqu’à présent n’ont ni constitué un mouvement ni n’ont correspondu au caractère critique de la situation. Les grèves ont été appelées par les directions des fédérations ou des confédérations. Même quand les syndicats du primaire ont appelé à la grève, il n’y a pas eu d’assemblées massives extraordinaires auparavant, ce qui signifie qu’aucun processus à la base n’a été organisé. L’influence destructive et paralysante des syndicalistes socialistes et le contrôle qu’ils exercent toujours sur les syndicats sont encore l’obstacle majeur et on peut en donner une illustration avec l’exemple suivant. Les employés de l’Imprimerie Nationale l’ont occupée le 5 mars, aux motifs que les nouvelles mesures ajouteraient une baisse supplémentaire de 30 % de revenu aux employés du ministère de l’intérieur. L’occupation, toutefois, était fermée à quiconque « n’était pas employé par le ministère », comme l’ont entendu dire des camarades qui essayaient de leur rendre visite et qui furent, de fait, congédiés. Les cadres syndicaux socialistes qui contrôlent le syndicat décidèrent de mettre fin à l’occupation brusquement sans même introduire la question en assemblée, sous l’argument que le gouvernement « avait promis » de déroger à la règle particulière – une décision qui fut accueillie avec colère mais qui ne fut pas contrée. L’occupation du Trésor public par les travailleurs licenciés d’Olympic Airways connut la même fin. Ce sont principalement des techniciens qui n’ont pas été payés pendant trois mois, à présent qu’Olympic Airways a été privatisée, ou des ouvriers à qui on avait promis d’être reversés sur d’autres sites. Le premier jour de l’occupation, ils séquestrèrent un responsable pour plusieurs heures et le même soir ils attaquèrent et pourchassèrent une escouade de la police anti-émeute. Bien qu’ils aient été ouverts aux discussions et qu’ils aient semblé déterminés à poursuivre le blocage autant que nécessaire, puisque, selon leurs propres mots, ils n’avaient « rien à perdre », ils ne laissèrent entrer personne dans le bâtiment occupé. Après 10 jours d’occupation, leurs représentants socialistes (et de droite) décidèrent d’accepter la « promesse » du gouvernement de former un comité spécial pour examiner la question ! En l’espèce, les syndicalistes socialistes agirent comme des courroies de transmission des menaces du gouvernement contre les travailleurs et de l’ordre du ministère public de les faire arrêter.

Comme nous l’avons déjà fait remarquer l’an dernier, à propos de l’incapacité de la rébellion de décembre à s’étendre aux lieux de travail, le manque de formes autonomes d’organisation et de nouveaux contenus de lutte, au-delà des revendications syndicales, semblent peser lourdement sur les prolétaires dans une période de terrorisme « de dette publique ». Et mieux encore, les limites de cette rébellion avec son caractère minoritaire sont encore plus visibles maintenant, et bientôt ceux qui s’en sont tenus à l’écart vont probablement découvrir la nécessité d’en commencer une nouvelle pour se sortir de ce mauvais pas.

L’agence de notation de crédit des prolos et des pauvres,
alias TPTG,

14 mars 2010.

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