mercredi, janvier 27, 2010
Richard Martineau et ses jappements déficients
C'est pitoyable et glauque, mais c'est la triste vérité : les papiers de M… sont le reflet d'une époque bien étrange – la nôtre. Suspendue quelque part entre la réaction conservatrice et l'égoïsme libéral, sa « pensée » (il faudra indéniablement trouver un mot plus juste) est pittoresquement propre à la société marchande moderne. L'idéologie bourgeoise, désormais seule aux commandes du monde et de ses réalités, se partage la dépouille des grandes idéologies. Dansant sur le cadavre de l'Histoire, M… peut enfin dire tout ce qui lui plait
« Jean Charest est un gros trou du cul de merde qui mange du vomi. Voilà. Personne ne va m'arrêter » .
Sur le marché du populisme réactionnaire, M… a trouvé sa niche, son filament qui lui donne sa touche particulière : la droite déficiente (typiquement postmoderniste, cette droite oscille entre le libéralisme et le conservatisme tout en ignorant sa propre existence). Remarquez comment M… ne se rend même pas compte que le point de vue qu'il choisi pour questionner le monde est essentiellement et intégralement de droite. C'est presque comique… tragi-comique en fait
« Car entre vous et moi, qui peut dire ce qui est de droite ou de gauche, aujourd'hui? Créer de la richesse pour mieux la distribuer, c'est de droite? Défendre la liberté de religion des extrémistes, c'est de gauche? Demander des peines plus sévères pour les criminels dangereux, c'est de droite? S'agenouiller devant des dictateurs socialistes, c'est de gauche? Critiquer les excès du féminisme, c'est de droite? Défendre des programmes sociaux universels qui bénéficient aux biens nantis, c'est de gauche? »
Parmi les millions d'objets qu'il est possible d'observer, parmi le répertoire infini des faits qui animent la vie sociale et politique, M… choisi, en conformité avec la mode du jour, ceux qui peuvent mousser ses ventes. Seul le détail sans occurrence ni contexte l'intéresse. Parlez-lui de sexisme, d'inégalités historiques, de violence, de racisme, de classes sociales… il vous répondra du tac au tac qu'il ne faut pas oublier la misère de la classe moyenne, les problèmes des blancs, la violence des femmes envers les hommes et les droits de la majorité. Ici, c'est une intervenante auprès des femmes en difficulté qui affirme que certaines féministes sont «sexistes» . Là, c'est un film de Michael Moore qui prouve que les États-Unis ne vivent pas sous le règne de la «pensée unique» . Ici encore, un imam sorti d'on ne sait où traite les femmes de «prostituées» sans que personne ne le dénonce, ce qui prouve que les «organisations progressistes» participent à ce «chantage immonde» favorisant les extrémistes. Là encore, un col bleu agressé par son syndicat prouve que «l'intimidation syndicale» est une réalité
«Il faudrait parler de la violence des patrons, mais pas de celle des syndicalistes? De la violence des hommes, mais pas de celle des femmes? De la violence des Blancs, mais pas de celle des Noirs? ».
Hors de l'Histoire, tout devient relatif. L'éternel présent du journaliste se reconstruit en boucle chaque matin, produisant une multitude informe de faits fixes et uniques. M… peut ainsi chialer (enfin le mot juste !) sans se soucier des privilèges qu'il défend objectivement. Il lui arrive même, quoique rarement et presque par accident, de dénoncer les abus des autorités; cela lui donne de la « crédibilité » (ou quelque chose du genre). Ces attaques se limitent toutefois à dénoncer les excès exceptionnels des riches et des puissants sans jamais expliquer en quoi ce sont les positions sociales de ces profiteurs qui sont elles-mêmes des injustices. Ces quelques balles perdues ne font certainement pas le poids face aux vastes entreprises de calomnie auquel il se livre quotidiennement et qui ont pour cible, cette fois systématiquement, les épouvantails qu'il s'invente : la gogauche, les féministes enragées, les femmes voilées, les casseurs cagoulés, les terroristes, les gangs de rue, etc. Ces ennemis imaginaires sont des personnages grossiers et spectaculaires qu'il peut manipuler à sa guise. En stigmatisant ainsi ses adversaires, c'est en fait sa propre incompréhension des idées et des réalités des autres que M… met en scène.
Mais il y a plus… Car le reflet peu brillant créé par la « pensée » (décidément !) de M… produit ce qu'il dénoncerait lui-même comme de l'idéologie. En laminant tous les rapports de force qui animent la société, il prend nécessairement la défense de ceux qui comme lui profitent de l'état actuel du monde. À ses yeux (ne vous en faites pas, on va faire ça vite) : la gauche «domine» l'information; la droite est «trop sévèrement» critiquée; il est impossible de «mettre un pied devant l'autre sans l'aide de l'État»; on vit dans une société dominée par les «valeurs féminines»; il est impossible de critiquer les syndicats sans être « brûlé sur la place publique » (les critiquer serait un geste « révolutionnaire »); le principe d'autorité est désormais « tabou »; les musulmans pourraient bientôt «anéantir» l'Occident, etc.
Cette conception du monde patentée hors du temps et de l'espace l'amène à se poser des questions objectives (ne vous en faites pas, ça achève): « À quand une école pour gais qui enseigne la grammaire en utilisant le répertoire de Village People? », « À quand un colloque sur le fait que les francophones disent UNE table, mais UN bureau? », « Pourquoi ne permettrait-on pas aux Québécois de souche de conduire leur char avec une bière entre les jambes?», pourquoi ne créerait-on pas une « Ligue des Blancs du Québec »? … (Manifestement, M… a lu L'art d'avoir toujours raison de Shopenhauer… enfin, il a minimalement compris le stratagème numéro 1, « l'extension »).
La prétendue fin de l'histoire a permis à l'idéologie bourgeoise de reposer son gros derrière hégémonique sur l'ensemble de nos représentations collectives. M… est l'une des matières organiques fermentée dans cet enfermement idéologique. Aucun système, aucun mouvement, aucune structure ne vient déranger sa vaniteuse tranquillité. Tout en défendant le droit au profit, la supériorité de l'Occident, la position dominante de l'homme blanc et les droits des briseurs de grève, M… enrobe ses « idées-marchandises » de prétention à la neutralité. Sans percevoir que ses jappements sans contours font écho aux commandes des notables, il continuera de baver à petites doses sur l'immensité du monde qu'il n'a même jamais tenté de comprendre…
* ce texte est tiré du journal Le Couac, février 2010.
« Jean Charest est un gros trou du cul de merde qui mange du vomi. Voilà. Personne ne va m'arrêter » .
Sur le marché du populisme réactionnaire, M… a trouvé sa niche, son filament qui lui donne sa touche particulière : la droite déficiente (typiquement postmoderniste, cette droite oscille entre le libéralisme et le conservatisme tout en ignorant sa propre existence). Remarquez comment M… ne se rend même pas compte que le point de vue qu'il choisi pour questionner le monde est essentiellement et intégralement de droite. C'est presque comique… tragi-comique en fait
« Car entre vous et moi, qui peut dire ce qui est de droite ou de gauche, aujourd'hui? Créer de la richesse pour mieux la distribuer, c'est de droite? Défendre la liberté de religion des extrémistes, c'est de gauche? Demander des peines plus sévères pour les criminels dangereux, c'est de droite? S'agenouiller devant des dictateurs socialistes, c'est de gauche? Critiquer les excès du féminisme, c'est de droite? Défendre des programmes sociaux universels qui bénéficient aux biens nantis, c'est de gauche? »
Parmi les millions d'objets qu'il est possible d'observer, parmi le répertoire infini des faits qui animent la vie sociale et politique, M… choisi, en conformité avec la mode du jour, ceux qui peuvent mousser ses ventes. Seul le détail sans occurrence ni contexte l'intéresse. Parlez-lui de sexisme, d'inégalités historiques, de violence, de racisme, de classes sociales… il vous répondra du tac au tac qu'il ne faut pas oublier la misère de la classe moyenne, les problèmes des blancs, la violence des femmes envers les hommes et les droits de la majorité. Ici, c'est une intervenante auprès des femmes en difficulté qui affirme que certaines féministes sont «sexistes» . Là, c'est un film de Michael Moore qui prouve que les États-Unis ne vivent pas sous le règne de la «pensée unique» . Ici encore, un imam sorti d'on ne sait où traite les femmes de «prostituées» sans que personne ne le dénonce, ce qui prouve que les «organisations progressistes» participent à ce «chantage immonde» favorisant les extrémistes. Là encore, un col bleu agressé par son syndicat prouve que «l'intimidation syndicale» est une réalité
«Il faudrait parler de la violence des patrons, mais pas de celle des syndicalistes? De la violence des hommes, mais pas de celle des femmes? De la violence des Blancs, mais pas de celle des Noirs? ».
Hors de l'Histoire, tout devient relatif. L'éternel présent du journaliste se reconstruit en boucle chaque matin, produisant une multitude informe de faits fixes et uniques. M… peut ainsi chialer (enfin le mot juste !) sans se soucier des privilèges qu'il défend objectivement. Il lui arrive même, quoique rarement et presque par accident, de dénoncer les abus des autorités; cela lui donne de la « crédibilité » (ou quelque chose du genre). Ces attaques se limitent toutefois à dénoncer les excès exceptionnels des riches et des puissants sans jamais expliquer en quoi ce sont les positions sociales de ces profiteurs qui sont elles-mêmes des injustices. Ces quelques balles perdues ne font certainement pas le poids face aux vastes entreprises de calomnie auquel il se livre quotidiennement et qui ont pour cible, cette fois systématiquement, les épouvantails qu'il s'invente : la gogauche, les féministes enragées, les femmes voilées, les casseurs cagoulés, les terroristes, les gangs de rue, etc. Ces ennemis imaginaires sont des personnages grossiers et spectaculaires qu'il peut manipuler à sa guise. En stigmatisant ainsi ses adversaires, c'est en fait sa propre incompréhension des idées et des réalités des autres que M… met en scène.
Mais il y a plus… Car le reflet peu brillant créé par la « pensée » (décidément !) de M… produit ce qu'il dénoncerait lui-même comme de l'idéologie. En laminant tous les rapports de force qui animent la société, il prend nécessairement la défense de ceux qui comme lui profitent de l'état actuel du monde. À ses yeux (ne vous en faites pas, on va faire ça vite) : la gauche «domine» l'information; la droite est «trop sévèrement» critiquée; il est impossible de «mettre un pied devant l'autre sans l'aide de l'État»; on vit dans une société dominée par les «valeurs féminines»; il est impossible de critiquer les syndicats sans être « brûlé sur la place publique » (les critiquer serait un geste « révolutionnaire »); le principe d'autorité est désormais « tabou »; les musulmans pourraient bientôt «anéantir» l'Occident, etc.
Cette conception du monde patentée hors du temps et de l'espace l'amène à se poser des questions objectives (ne vous en faites pas, ça achève): « À quand une école pour gais qui enseigne la grammaire en utilisant le répertoire de Village People? », « À quand un colloque sur le fait que les francophones disent UNE table, mais UN bureau? », « Pourquoi ne permettrait-on pas aux Québécois de souche de conduire leur char avec une bière entre les jambes?», pourquoi ne créerait-on pas une « Ligue des Blancs du Québec »? … (Manifestement, M… a lu L'art d'avoir toujours raison de Shopenhauer… enfin, il a minimalement compris le stratagème numéro 1, « l'extension »).
La prétendue fin de l'histoire a permis à l'idéologie bourgeoise de reposer son gros derrière hégémonique sur l'ensemble de nos représentations collectives. M… est l'une des matières organiques fermentée dans cet enfermement idéologique. Aucun système, aucun mouvement, aucune structure ne vient déranger sa vaniteuse tranquillité. Tout en défendant le droit au profit, la supériorité de l'Occident, la position dominante de l'homme blanc et les droits des briseurs de grève, M… enrobe ses « idées-marchandises » de prétention à la neutralité. Sans percevoir que ses jappements sans contours font écho aux commandes des notables, il continuera de baver à petites doses sur l'immensité du monde qu'il n'a même jamais tenté de comprendre…
* ce texte est tiré du journal Le Couac, février 2010.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
3 commentaires:
Qui l'a écrit ?
C'est Marc-André Cyr
Merci de l'avoir poste.
J'aurais pu ecrire cet article il y a deja 14 ans quand Martineau tapait a coups de jugements sur des defenseurs des droits de l'homme sous pretexte que les droits de l'homme ne devaient pas s'appliquer de la meme facon a des activistes islamistes et a des democrates laiques ..qui reniaient le principe meme du choix populaire.
Enregistrer un commentaire