vendredi, février 04, 2011
Eric Duhaime et la liberté du huissier*
Le libéralisme, autrefois chargé d’aspirations profondes pour l’humanité, a les mêmes racines étymologiques que la générosité. Cette qualité s’est cependant étiolée dans le processus historique qui a mené l’idéologie dominante au sommet de sa puissance. Les bourgeois sont devenus de plus en plus gras et leur cerveau de plus en plus paresseux. C’est pourquoi les frontières de la doctrine se referment désormais précisément là où commençait la générosité qui l’animait auparavant: la Raison, jadis outil d’émancipation, est désormais froide et calculatrice, elle transforme l’humain en statistique et le critère moral en critère d’efficacité. D’idéologie vivante, le libéralisme est devenue mort, sans vie, sans mouvement, sinon celui dicté par les impératifs de la Croissance infinie.
Les propos tenus par Éric Duhaime, ˗ celui qui est tellement fendant qu’il en a la voix fêlée** ˗ du Réseau Liberté Québec, sont une éloquente preuve de cette dégénérescence de la pensée libérale. Dans la revue L’Actualité, il affirme, en décembre 2009 : « Traditionnellement, les politiciens ont toujours joué au Père Noel. Mais ce temps est révolu. Le prochain type de politicien dont on a besoin, c'est un huissier. Un gars qui va défoncer des portes, casser des jambes et aller chercher des chèques ». Nous sommes loin, avec ce genre de propos, des généreuses idées de liberté et de bonheur individuels qui menèrent les Lumières à la critique des autorités divines, tous en conviendront.
En 2009, devant la Commission parlementaire du gouvernement du Québec à propos du régime des rentes, il ajoute ceci
"Il y a trente ans, le Chili se dirigeait vers le même trou que le Québec d’aujourd’hui (…) le Chili a permis à ses concitoyens de choisir comment gérer leur cotisations (…) Chaque travailleur chilien est toujours obligé de cotiser mais il peut décider où investir son argent. Chacun a son propre compte et l’assurance qu’il recevra ce qu’il a versé avec les rendements générés par ses avoirs"***
C’est donc à titre de « Consultant en développement démocratique » que M. Duhaime prend le Chili de Pinochet comme exemple à suivre pour le Québec. Devant ses propos, Sam Hamad, ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, n’a pu retenir son malaise : « C’est bien de Pinochet dont vous parlez ? ». M. Duhaime précisera que le Chili peut-être inspirant en ce qui concerne « certains aspects » même s’il ne l’est pas en matière de droits humains.
Ces paroles, bien entendu, ne firent aucun scandale. Jamais il ne vint à l’esprit d’aucun journaliste de faire les liens entre les paroles de M. Duhaime, le régime de Pinochet et la « Constitution de la Liberté », ainsi nommé en hommage à Friedrich von Hayek, cet incontournable philosophe de la droite libertarienne. Non seulement ses propos ne furent pas traités de « dangereux » ou d’ « extrémistes », ils furent tout simplement ignorés.
Imaginons maintenant la réaction médiatique face à des déclarations semblables, mais cette fois-ci de la part de la gauche. Imaginez un peu le tollé si Françoise David défendait les programmes sociaux de Pol Pot, combien de chroniques vilipenderaient les propos d’un Jack Layton soutenant les politiques autogestionnaires de Tito et pendant combien de temps parleraient-on de M. Khadir s’il défendait le régime universel de santé en citant l’exemple « miraculeux » de la Chine de Mao ?
La droite libertarienne, qui aime à voir des « communistes » et des « islamistes » ˗ parfois même les deux en même temps!˗ chez les sociaux démocrates et les Musulmans, devrait, si les journalistes « de gauche » dominaient réellement le monde médiatique tel qu’elle le prétend, avoir des comptes à rendre. Or, c’est précisément l’inverse qui se produit, et ce sont ceux et celles qui critiquent les rapports de domination et d’exploitation qui doivent se défendre d’être des ennemis de la liberté. Comme dirait Guy Debord, en société capitaliste avancée, le vrai est un moment du faux.
* Article publié dans le journal Le Couac de janvier 2010.
** Quoiqu’il soit possible que ce soit l’inverse, on ne sait plus trop.
*** Source : Vers un Régime de rentes du Québec renforcé et plus équitable. CAS – 005M, C.G.
Les propos tenus par Éric Duhaime, ˗ celui qui est tellement fendant qu’il en a la voix fêlée** ˗ du Réseau Liberté Québec, sont une éloquente preuve de cette dégénérescence de la pensée libérale. Dans la revue L’Actualité, il affirme, en décembre 2009 : « Traditionnellement, les politiciens ont toujours joué au Père Noel. Mais ce temps est révolu. Le prochain type de politicien dont on a besoin, c'est un huissier. Un gars qui va défoncer des portes, casser des jambes et aller chercher des chèques ». Nous sommes loin, avec ce genre de propos, des généreuses idées de liberté et de bonheur individuels qui menèrent les Lumières à la critique des autorités divines, tous en conviendront.
En 2009, devant la Commission parlementaire du gouvernement du Québec à propos du régime des rentes, il ajoute ceci
"Il y a trente ans, le Chili se dirigeait vers le même trou que le Québec d’aujourd’hui (…) le Chili a permis à ses concitoyens de choisir comment gérer leur cotisations (…) Chaque travailleur chilien est toujours obligé de cotiser mais il peut décider où investir son argent. Chacun a son propre compte et l’assurance qu’il recevra ce qu’il a versé avec les rendements générés par ses avoirs"***
C’est donc à titre de « Consultant en développement démocratique » que M. Duhaime prend le Chili de Pinochet comme exemple à suivre pour le Québec. Devant ses propos, Sam Hamad, ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, n’a pu retenir son malaise : « C’est bien de Pinochet dont vous parlez ? ». M. Duhaime précisera que le Chili peut-être inspirant en ce qui concerne « certains aspects » même s’il ne l’est pas en matière de droits humains.
Ces paroles, bien entendu, ne firent aucun scandale. Jamais il ne vint à l’esprit d’aucun journaliste de faire les liens entre les paroles de M. Duhaime, le régime de Pinochet et la « Constitution de la Liberté », ainsi nommé en hommage à Friedrich von Hayek, cet incontournable philosophe de la droite libertarienne. Non seulement ses propos ne furent pas traités de « dangereux » ou d’ « extrémistes », ils furent tout simplement ignorés.
Imaginons maintenant la réaction médiatique face à des déclarations semblables, mais cette fois-ci de la part de la gauche. Imaginez un peu le tollé si Françoise David défendait les programmes sociaux de Pol Pot, combien de chroniques vilipenderaient les propos d’un Jack Layton soutenant les politiques autogestionnaires de Tito et pendant combien de temps parleraient-on de M. Khadir s’il défendait le régime universel de santé en citant l’exemple « miraculeux » de la Chine de Mao ?
La droite libertarienne, qui aime à voir des « communistes » et des « islamistes » ˗ parfois même les deux en même temps!˗ chez les sociaux démocrates et les Musulmans, devrait, si les journalistes « de gauche » dominaient réellement le monde médiatique tel qu’elle le prétend, avoir des comptes à rendre. Or, c’est précisément l’inverse qui se produit, et ce sont ceux et celles qui critiquent les rapports de domination et d’exploitation qui doivent se défendre d’être des ennemis de la liberté. Comme dirait Guy Debord, en société capitaliste avancée, le vrai est un moment du faux.
* Article publié dans le journal Le Couac de janvier 2010.
** Quoiqu’il soit possible que ce soit l’inverse, on ne sait plus trop.
*** Source : Vers un Régime de rentes du Québec renforcé et plus équitable. CAS – 005M, C.G.
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4 commentaires:
"Il y a trente ans, le Chili se dirigeait vers le même trou que le Québec d’aujourd’hui (…) le Chili a permis à ses concitoyens de choisir comment gérer leur cotisations (…) Chaque travailleur chilien est toujours obligé de cotiser mais il peut décider où investir son argent. Chacun a son propre compte et l’assurance qu’il recevra ce qu’il a versé avec les rendements générés par ses avoirs"***"
Il faut tout de même préciser que cette mesure, ceteris paribus, serait une amélioration par rapport au système actuel, même si on ne devrait pas obliger les travailleurs à cotiser selon moi.
Par contre, loi de moi l'idée de vénérer le régime de Pinochet, et je suis d'accord avec ce billet sur le fond.
Je ne considère pas que Duhaime est un libertarien, cependant.
C'est certain que toutes les idéologies sont traversées de contradictions, mais lui se dit libertarien, et il me semble que ça colle parfaitement à son discours.Pourquoi tu penses le contraire?
Les libertariens sont contre l'État quand ça les arrange. Ils sont surtout contre les programmes sociaux. Ils n'auraient aucun problème avec un État policier.
De toute manière le capitalisme sauvage (ce qu'ils veulent) doit aller de pair avec une augmentation de la répression. Ils sont pris dans leurs contradictions.
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