Le Socialist Workers Party(SWP), la principale organisation de la gauche [trotskyste] britannique, connaît actuellement une crise profonde, qui s’est traduite au cours des quatre derniers mois par une éruption de critiques contre la direction de l’organisation, la formation de deux tendances d’opposition et la tenue d’un Congrès extraordinaire le 10 mars dernier.
Celui-ci a été immédiatement suivi par le départ groupé de plus d’une centaine de militants qui ont formé un nouveau "réseau" provisoirement dénommé International Socialism Network. Et la crise est loin d’être terminée...
L’élément déclencheur de cette crise a été la manière scandaleuse par laquelle la direction du SWP a tenté de "régler" une accusation de viol portée par une jeune membre contre un membre de la direction, en enterrant cette accusation via une enquête confiée à une Commission interne.
Le débat qui secoue aujourd’hui le SWP a une signification qui va bien au-delà de cette organisation et c’est pourquoi nos trouvons utile d’en parler ici. Il pose d’abord la question du rapport réel au sexisme et à l’oppression des femmes dans des organisations de gauche qui pourtant se réclament de la lutte pour la libération des femmes. Et il débouche sur une série de critiques et de remises en question du mode de fonctionnement des petits "partis" de la gauche radicale, marqués notamment par l’absence d’une vraie culture de débat démocratique interne et par la domination de versions autoritaires et bureaucratiques du fameux "centralisme démocratique".
Quelques faits pour comprendre ce qui se passe au SWP
Tout commence il y a deux ans quand une jeune militante de l’organisation (19 ans à ce moment) confie à des amis qu’au terme d’une relation de deux ans, elle a été victime de viol par son ex-compagnon. Celui-ci est Martin Smith (trente ans de plus qu’elle) qui est membre du Comité Central du SWP, l’instance forte d’une dizaine de personnes (essentiellement des permanents) qui dirige (d’une main de fer) l’organisation. Comme la jeune fille ne souhaite pas porter plainte à la police, l’affaire est portée par le Comité Central devant la Commission des Conflits.Cette instance, formellement indépendante de la direction, comprend néanmoins deux membres actuels et trois anciens membres du Comité Central. Et tous les membres de la Commission connaissent évidemment Martin Smith, une des personnalités d’avant-plan du parti. La Commission mène une enquête, qui s’avère sérieusement biaisée. Ainsi, Martin Smith peut prendre connaissance du texte de la déposition de son accusatrice mais celle-ci ne pourra avoir accès à sa réponse. Elle, et ses ami-e-s qui la soutiennent, seront aussi questionné-e-s sur ses précédentes relations, ses habitudes en matière de boisson,... Au terme de ses investigations, la commission a déclaré que les faits "ne sont pas prouvés". Pour le Comité Central, l’affaire est donc réglée et prestement enterrée.
Au Congrès annuel suivant du SWP (début janvier 2012), l’affaire n’est évoquée que de manière très voilée et codée, sans aucune allusion à la plainte pour viol. Martin Smith n’est pas reproposé pour le nouveau Comité Central mais il conserve des postes de direction et surtout de représentation publique du SWP, sous les applaudissements des délégués dont l’écrasante majorité ne sont au courant de rien de ce qui s’est passé au cours de ces derniers mois.
Mais les ami-e-s de la jeune militante ne baissent pas les bras. Les faits sont évoqués (de manière prudente et sans que le nom de Martin Smith soit cité) dans les bulletins internes qui préparent la tenue du congrès de janvier 2013. Inquiète, la direction tente de dresser des contre-feux. Quatre membres du SWP qui se sont solidarisés avec elle sont exclus (par e-mail et sans aucune possibilité de recours !) pour "factionnalisme secret". La fronde et la colère contre le traitement de la plainte pour viol mais aussi contre les limitations à l’expression des points de vue et les entraves au débat démocratique se développent rapidement, surtout au sein de l’organisation étudiante du SWP.
Au Congrès, le débat sur l’affaire est houleux, une grande partie des délégués découvrant l’ampleur du problème. Fait inouï dans l’histoire du SWP, le rapport de la Commission des Conflits n’est validé qu’à une très faible majorité. Néanmoins, le Comité Central considère que l’affaire est réglée. Mais contrairement aux attentes et aux normes du SWP (les tendances ne peuvent se constituer que dans les trois mois précédant un congrès et doivent impérativement se dissoudre au lendemain de celui-ci), la tension ne retombe pas. Une série de membres démissionnent, une retranscription de la partie des débats du Congrès concernant l’affaire est postée sur internet, la question devient publique et commence à être discutée dans la gauche et dans la presse...
[Le site avanti4.be reviendra] plus en détails sur la crise du SWP dans les prochains jours à travers divers textes de critique et de réflexion. Pour ouvrir cette série, nous publions ci-dessous deux textes, parus en janvier dans la foulée du Congrès annuel, qui sont centrés sur l’aspect féministe de cette crise, même s’ils ont une portée plus large. Le premier est la lettre de démission de Tom Walker, qui était journaliste au Socialist Worker, l’hebdomadaire du SWP. Le deuxième est un article publié par Laurie Penny, une journaliste et bloggueuse féministe et progressiste.
Les deux textes que nous publions ci-dessous sont publiés à ce moment.
« … Cela pose clairement un point d’interrogation sur la politique sexuelle de nombreux hommes qui occupent des positions de pouvoir à gauche. Je crois que la racine de ceci est que, grâce à leur réputation, ou à cause du manque de démocratie interne, ou à cause des deux à la fois, ce sont souvent des positions qui sont inattaquables. Ce n’est pas sans raison que les récentes accusations d’abus sexuels dans le "monde extérieur" ont mis en évidence la ‘culture de l’impunité’. (le journal) Socialist Worker a mis en évidence la façon dont les institutions se ferment en huis clos pour protéger les personnes qui ont du pouvoir en leur sein. Ce qui n’est pas reconnu, c’est que le SWP est lui-même une institution en ce sens, avec un instinct de protection et de survie. Comme je l’ai déjà mentionné, la croyance du parti dans sa propre importance dans l’histoire mondiale l’amène à légitimer ses tentatives pour couvrir les faits, ce qui amène ceux qui exercent des violences à se sentir protégés. »
Comment gérer une situation de violences sexuelles à gauche ? Point de vue féministe sur SWP par Laurie Penny
« ... Dire que la gauche a un problème dans sa façon de traiter les violences sexuelles ne signifie pas que ce n’est pas le cas de tous les autres. Il y a, cependant, un refus obstiné, qui est propre à la gauche et aux progressistes de manière plus générale, de reconnaître et de traiter la culture du viol.Cela a précisément à voir avec l’idée que, parce qu’on est progressiste, parce qu’on lutte pour la justice sociale et l’égalité, parce qu’on est "du bon côté", on est en quelque sorte exempts d’être tenu pour personnellement responsable quand il s’agit de problèmes de race, de relation entre hommes et femmes ou de violence sexuelle.
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