samedi, avril 10, 2010

Jamais «pour rien»

Lettre ouverte par Louise Authier, médecin de famille à Montréal.

Après 35 ans de travail comme médecin de famille, et encore fort ravie de rencontrer mes patients tous les jours, jamais je n'en ai rencontré un seul qui consultait «pour rien», qui consultait pour aucun malaise. D'où vient cette idée que les patients consultent pour rien et qu'il faut les modérer? Et qu'ainsi, on sauvera de l'argent?

Les patients viendraient-ils attendre des heures dans nos salles d'attente et dans les urgences «pour rien»? Je suis toujours heureuse de dire à un parent que la fièvre à 39 degrés de son enfant n'est pas une otite ou une pneumonie; de dire à un homme de 55 ans que son malaise thoracique n'est pas une «crise de coeur»; de dire à cette dame de 84 ans que je comprends qu'elle ait de la difficulté à marcher avec ce genou arthrosique; de dire aussi à ce jeune qu'il a eu tellement raison de consulter pour son malaise abdominal; de dire à cette jeune fille que je trouve sa demande de contraception tout à fait pertinente; de féliciter mon patient diabétique qui vient fidèlement à ses visites de contrôle deux à trois fois par année à ma demande, comme les guides de pratique sur le diabète m'ont appris à le faire.

Mais de quoi se mêlent ces «lucides» qui pensent qu'il faut modérer les patients dans leur besoin de consulter pour leur santé? Les patients consultent parce qu'ils en ont besoin, un point c'est tout. Ils consultent parce que leurs médecins leur demandent de venir les voir. Ils consultent parce qu'ils sont soucieux de leur santé et souhaitent savoir s'ils ont un taux trop élevé de cholestérol ou s'ils pourraient faire du diabète parce que leurs parents sont diabétiques.

Ils consultent aussi parce que nos départements de santé publique et le ministère de la Santé les invitent à faire du dépistage du cancer du sein, ou du côlon, ou de la prostate. Notre population se sent très responsable de sa santé, et je le constate tous les jours dans mon travail.

Non, messieurs et mesdames les ministres, ne vous mêlez pas de ça, modérez vos méthodes prouvées inutiles. Le ticket modérateur, on le sait, augmente les coûts de santé par les délais engendrés pour la consultation. Ça touchera évidemment les plus démunis. Rappelez-vous que les pauvres des quartiers les plus pauvres de Montréal meurent 10 ans plus tôt que vous et moi, plus riches.

Et actuellement, les mieux nantis consultent de plus en plus dans des cliniques privées, car ils peuvent se le payer. Bien évidemment, là il n'y aura pas de ticket modérateur pour vous modérer l'envie pourtant bien légitime de consulter si vous ne vous sentez pas bien.

Ne pourrait-on pas modérer les compagnies pharmaceutiques qui, tel un rouleau compresseur, nous invitent tous à prendre de multiples médicaments pour notre cholestérol, notre taux de sucre un peu augmenté, pour nos humeurs, pour nos tristesses de la vie?

Il y a beaucoup de choses à modérer dans notre société: la caféine que l'on vient d'accepter d'ajouter dans les boissons gazeuses et qui ne feront qu'exciter nos enfants. Et cette restauration qui nous gave de calories au point où on est en train d'en crever. Et ces restaurants qui s'installent à proximité des écoles et des jeunes.

On veut que notre population modère ses demandes au système. Je crois rêver. Non je ne rêve pas et je suis tellement en colère.

La santé, c'est un bien précieux, il faut la préserver autant que l'on peut. La visite médicale fait partie de l'ensemble des moyens pour y parvenir, comme la bonne alimentation, la prévention, le dépistage et les soins.

Messieurs et mesdames qui nous gouvernent, vous n'êtes pas lucides. Modérez-vous.

1 commentaire:

Mouton Marron a dit…

Excellent texte. Dommage que pas plus de médecins dans son genre s'expriment.