mercredi, janvier 16, 2013
Les écologistes répondent à la GRC
Montréal, 15 janvier 2013, On
apprend que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a publié des mises en
garde au sujet d’une soi-disant menace environnementaliste
« extrémiste » au Québec. Le présent article replace cette nouvelle dans
le cadre plus large de la Peur verte.
La Presse vient de publier des extraits de bulletins d'alerte rédigés en 2011 et 2012 par l'Équipe des renseignements relatifs aux infrastructures essentielles de la GRC. Le journal aurait obtenu ces bulletins via la Loi sur l’accès à l’information.
On
y mentionne le risque que les compagnies et personnes impliquées dans
l’industrie des gaz de schiste, en expansion au Canada, puissent être la
cible d’éléments radicaux du mouvement environnemental. D’autres
corollaires sont établis avec l’industrie des sables bitumineux et du
nucléaire.
Cette nouvelle fait écho à la stratégie antiterroriste publiée par le gouvernement Harper en février 2012 : Renforcer la résilience face au terrorisme.
Dans ce document, on réfère à des « groupes extrémistes » ayant pour
cause les droits des animaux, l’environnementalisme et
l’anticapitalisme.
Précédemment, le
ministre des Ressources naturelles Joe Oliver avait publiquement traité
de « radicaux » tous les opposants-es au projet de pipeline Northern
Gateway de la société Enbridge en Colombie-Britannique.
Cette
hargne dirigée contre les mouvements sociaux par les élites en place ne
date pas d’hier. D’emblée, la criminalisation de la dissidence
s’intensifie dans notre société, et les quelque 1 100 arrestations au
G20 de Toronto ou encore les 3 150 arrestations du Printemps québécois
en sont des preuves saillantes.
Mais le fait d’associer écologie et terrorisme relève d’un phénomène bien particulier, celui de la Peur verte. De l’anglais Green Scare, elle
désigne la vague de répression policière contre les écologistes qui
déferle depuis les années 1990. Le terme est un clin d’œil au Red Scare
– les deux vagues anticommunistes des années 1920 et 1950, reconnues
comme de grands exercices de paranoïa et d’attaques contre les droits et
libertés de la personne.
On peut retracer ses débuts en 1985, lorsque les services secrets de France coulent le célèbre bateau de Greenpeace Rainbow Warrior,
causant la mort du photographe Fernando Pereira. Les groupes
écologistes d’envergure internationale qui délaissent le lobbyisme en
faveur d’actions directes, jugées plus efficaces (par exemple, le
blocage et la désobéissance civile) sont de plus en plus nombreux et
gagnent en importance. Outre Greenpeace, on retrouve par exemple Sea
Shepherd, Earthfirst!, et depuis 1992, le Front de libération de la
Terre (ELF) et le Front de libération des animaux (ALF).
En
2002, le Congrès américain reçoit le témoignage de James Jarboe du FBI.
Son allocution, titrée « La menace de l’écoterrorisme » (The Threat of Eco-Terrorism)
stipule que la plus grande menace domestique aux États-Unis est en fait
une toute nouvelle menace qu’il baptise écoterrorisme. C’est la
première fois qu’on associe les actes de libération animale et
vandalisme au concept de terrorisme. Profitant du Patriot Act
voté suite aux attentats du 11 septembre 2001, la table est mise pour
l’adoption de toute une série de mesures judiciaires contre les
personnes suspectées de terrorisme, comme l’écoute électronique et les
perquisitions sans mandat, l’arrestation préventive et la détention sans
accusation pour une durée indéterminée. Les sentences deviennent aussi
beaucoup plus lourdes. Par exemple, peu après l’adoption d’une loi sur
l’écoterrorisme, un juge de l’Oregon condamne Jeff Luers à une sentence
spectaculaire de 22 ans pour avoir causé 40,000$ en dommage chez un
concessionnaire auto, en 2001.
Depuis,
la Peur verte s’étend, avec de vastes opérations policières dont
l’Opération Backfire (É-U) et l’Opération Achilles (G-B). De grandes
organisations comme Greenpeace et PETA ont aussi fait l’objet d’écoute
électronique.
Mais qu’en est-il au
Québec? Certes, une campagne s’organise au Québec pour s’opposer au
renversement du flux du pipeline d’Enbridge (ligne 9b). En parallèle,
l’important mouvement d’opposition aux gaz de schiste retient son
souffle, attendant les résultats d’une étude environnementale peu
prometteuse.
Évidemment, ces deux
industries craignent n’importe quel frein à leurs activités, et les
élites politiques qui les servent s’en font les porte-voix. Toutefois,
dans leur emportement, les autorités font plusieurs sauts de logique.
Les deux faits principaux qu’elles écartent sont la nature même des
activités des écologistes dits-es « radicaux » depuis les vingt
dernières années et la relation dynamique entre le développement
industriel et les communautés qui en sont victimes.
D’une
part, toutes les organisations écologistes jugées comme étant les plus
dangereuses par les autorités ont en commun les mêmes lignes directrices
dans leurs actions. Celles-ci excluent sine qua non les actes
de violence envers les personnes et les animaux. Pour ces groupes, le
vandalisme et le sabotage ne constituent pas des actes violents, et sont
au contraire perçus comme une réponse pour arrêter la violence, très
réelle, du développement industriel (ex. destruction d’habitats,
réchauffement climatique, pollution de l’eau, du sol et de l’air,
etc.).
Ce qui nous amène au second
point : les variables qui entrent dans le choix des actions. Quoiqu’ils
se réservent toute la légitimité, l’État et l’industrie sont les acteurs
déterminants de ces conflits. Les actions illégales surviennent, règle
d’usage, après de longues années de luttes citoyennes où tous les moyens
institutionnels, légaux et politiques ont échoués. C’est lorsque la
démocratie représentative fait sourde oreille et tranche en faveur des
compagnies privées, condamnant les communautés et l’environnement
naturel, que plusieurs délaissent les abstractions et envisagent des
actions plus directes. Ils reprennent alors la maxime : « lorsque
l’injustice est loi, la résistance devient un devoir ».
Si
on ne considère pas sérieusement les impacts génocidaires des sables
bitumineux, des gaz de schiste et du nucléaire, tant pour les
populations humaines que pour les écosystèmes qui soutiennent la vie
telle qu’on la connaît, peinturer écologistes et citoyens en terroristes
ne fait qu’ajouter l’insulte à l’injure.
Bruno Massé est coordonnateur du Réseau québécois des groupes écologistes, écrivain et auteur de L’écologie radicale au Québec. Il détient une maîtrise en géographie sociale.
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