dimanche, septembre 08, 2013

Le 11 sept. 1973 et le pouvoir populaire au Chili

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On connait bien le 11 septembre 2001, mais on connait moins le 11 septembre 1973, pourtant cette date est aussi importante. C'est le jour où -avec l'aide de la CIA- le général Pinochet a mené un coup d'état militaire contre le gouvernement marxiste de Salvador Allende (Parti de l'Union Populaire, élu démocratiquement). Le dictateur a par le fait même réprimé dans le sang les mouvements sociaux de gauche qui étaient très combatifs et organisés.

De nombreux livres et films paraitront ce mois-ci pour souligner le 40e anniversaire de «l'autre 11 septembre». Ceux-ci nous ferons connaitre l'ampleur et l'intensité d'un mouvement populaire trop méconnu de la population en général.

«Créer le pouvoir populaire», c'était le mot d'ordre des mouvements sociaux de gauche à l'époque du gouvernement d'Union Populaire de Salvador Allende. Sous l'impulsion des différentes organisations militantes ou partisanes, les membres de la classe ouvrière et les syndicats ont mis sur pied des instances qui leur ont assuré un contre-pouvoir face aux boycotts et grèves du patronat. Par exemple, les «cordons industriels» étaient de véritables assemblées populaires d'autogestion d'entreprises qui regroupaient les syndicats de différentes industries d'une même région. Ces cordons assuraient le maintient de la production des biens et construisaient par le fait même une véritable démocratie directe populaire à petite échelle.

Pour sa part, la trilogie documentaire La Bataille du Chili de Patricio Guzman parue dans les années '70 révèle en trois parties d'une heure trente (L'Insurrection de la bourgeoisie; Le Coup d'État miliaire; le Pouvoir populaire) les différents évènements de l'époque qui peuvent nous servir à alimenter une réflexion actuelle sur les stratégies et les tactiques de gauche dans la lutte des classes. Malgré le contexte sud-américain particulier de l'époque, il est possible de débattre sur l'union entre les partis parlementaires et les groupes militants de gauche, de constater le rôle du gouvernement étasunien dans le financement de groupes fascistes chiliens, de réfléchir sur les sabotages patronaux, l'enjeu de l'auto-défense et de la violence, etc. Malheureusement, seule une petite partie du film est disponible en ligne en version francophone, la version francophone complète est par contre disponible sous forme de Torrent téléchargeable (pour ceux et celles qui savent comment ça marche) ou alors en DVD à acheter en ligne.

À la lumière de ces expériences, les anarchistes peuvent s'intéresser au contrôle ouvrier / autogestion des usines par des assemblées appelées «cordons industriels». Un article intitulé L’« octobre rouge » chilien et la naissance des cordons industriels (Le Monde Diplomatique) décrit rapidement ce qu'il s'est passé.

Avant de lire les quelques extraits sélectionnés ci-dessous, les personnes qui s'intéressent aux luttes contemporaines au Chili peuvent lire le texte «un regard panoramique sur le mouvement libertaire du Chili»(2012) ainsi que regarder en ligne le film haut en couleur Chicago Conspiracy (2010 - en anglais seulement ) sur les luttes de la gauche non-parlementaire (étudiantEs, quartier populaire LaVictoria, luttes des premières nations Mapuche).

Extraits tiré de l'article L’« octobre rouge » chilien et la naissance des cordons industriels
Dossier : il y a quarante ans, le coup d’Etat contre Salvador Allende
Journal Le Monde Diplomatique septembre 2013

Le Cordon Cerrillos étaient l'un des plus mobilisé.

[...]
L’un des aspects saillants de l’attitude du mouvement populaire est la création, au niveau des principales zones industrielles et quartiers périphériques du pays, d’organismes unitaires et transversaux, qui fonctionnent sur une base territoriale et permettent la liaison entre les différents syndicats d’un secteur industriel précis ou au sein des organisations de base d’un quartier. Suivant l’ampleur des couches sociales qu’elles parviennent à réunir, leur degré de pouvoir réel et l’orientation que leur donnent les militants présents, ces organisations vont prendre le nom de « Cordons industriels », « Commandos communaux », « Comités coordinateurs ». Au niveau de l’industrie, ces coordinations ouvrières horizontales répondent massivement aux boycotts et lock-out patronaux par une vague d’occupations d’usines, qui entre en adéquation avec la mobilisation au sein des principales entreprises de l’aire de propriété sociale (APS), formée par le secteur économique nationalisé.  


Les salariés de cette aire parviennent ainsi à maintenir partiellement la production, en faisant fonctionner les usines sans leur propriétaire, la plupart du temps avec l’aide de peu de cadres et techniciens et sur des bases complètement nouvelles : délibération collective permanente, remise en cause de la division du travail et des rapports sociaux de sexes, rupture partielle des hiérarchies et dominations symboliques, critique de la légitimité du patronat à diriger l’économie. Ils organisent aussi des formes parallèles de ravitaillement direct, notamment avec l’aide des Comités d’approvisionnement et de contrôle des prix (Juntas de abastecimiento y control de precios, JAP), multiplient les brigades de surveillance et de défense des usines...

[...]

Les témoignages que nous avons pu recueillir, ainsi que l’examen de la presse et des débats de l’époque, démontrent que malgré une volonté réaffirmée de se structurer par le biais de l’élection systématique de délégués en assemblée et le rejet de la nomination « par en haut » (par les partis), une telle démocratisation n’a jamais été atteinte (même si dans certaines usines, les délégués sont bien élus en assemblée). Ce sont essentiellement des dirigeants syndicaux et des militants du Parti socialiste (PS) et du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) qui y participaient et faisaient redescendre l’information dans leur usine, où, souvent, ils se heurtaient à la désapprobation des dirigeants syndicaux communistes.

[...]

Certains témoins ou commentateurs donnent une vision des Cordons déformée : celle d’immenses organisations de masse, extrêmement bien structurées. C’est paradoxalement cette version qui a également été défendue par la junte militaire pour justifier le coup d’Etat contre les « cordons de la mort », décrits comme une dangereuse armée parallèle prête à détruire la République et la Patrie (5). En fait, si de manière objective, la ceinture industrielle de la capitale concentre plusieurs dizaines de milliers de travailleurs, les Cordons industriels en tant qu’organisations mobilisées ont eu de nombreuses difficultés à rompre leur isolement politique au sein de la « voie institutionnelle » au socialisme et à s’insérer dans leur milieu social. 
 
Photo prise le jour du coup d'état de Pinochet.
Salvadore Allende au milieu de l'image portait sous son bras droit  un AK-47 qu'il avait reçu en cadeau de Fidel Castro. Ce dernier avait gravé son présent des mots suivants « À mon bon ami Salvador qui essaye par des moyens différents d'atteindre les mêmes buts ». Face aux rumeurs persistantes que les militaires allaient renverser le gouvernement de l'Union Populaire, la question sur l'auto-défense physique ne faisait pas l'unanimité au sein du mouvement de gauche. Il semblerait que les cordons industriels aient vue la formation de milices de défense ouvrière, mais elles restèrent tout au plus embryonnaires.